Déclaration d’utilité publique : un acte politique irresponsable !
COMMUNIQUE COORDINATION STOP CIGEO/BURE
17/06/2022
Depuis plusieurs mois la déclaration d’utilité publique pour le projet Cigéo est présentée comme imminente. Signe d’une volonté d’accélérer le processus et de rentrer dans une phase plus concrète, l’Andra vient d’annoncer la mise en place d’une nouvelle organisation pour la maîtrise d’ouvrage du projet visant à "assurer la phase d’instruction du dossier et à préparer la phase de réalisation initiale de Cigéo". Pourtant, les incertitudes autour de Cigéo s’accumulent toujours davantage : quels seraient les déchets enfouis ? Comment évaluer le coût d’un projet dont on ne connaît pas les contours ? Quelle maîtrise des risques ? Comment on scelle ?
Signer le décret d’utilité publique serait une décision inconcevable et absolument injustifiable, ce qui est précisément l’objet du courrier que plusieurs organisations viennent d’envoyer à la Première Ministre Elisabeth Borne afin de l’alerter sur l’indigence du dossier A lire ici.
Et il ne s’agit que d’un échantillon des questions qui restent en suspens !
En effet, il y a deux mois, le documentaire Arte "Nucléaire : une solution pour la planète" mettait le focus sur la fragilité de l’argile de Bure et en particulier sur sa réaction explosive en présence d’une flamme. Si l’Andra n’avait pas manqué de réagir, estimant que l’expérience réalisée dans le reportage n’était pas transposable à Cigéo (lire les articles du 2/04/2022 du Journal de la Haute-Marne et du 5/04/2022 de l’Est Républicain), sa justification n’était pas de nature à rassurer. Il nous semble important de revenir sur les apports de ce documentaire que l’Andra a cherché à invisibiliser, à commencer par la vulnérabilité de la roche elle-même. En effet, la fragilité de l’argile de Bure est telle que, déjà sans incendie, le creusement seul suffit à créer des fissures et à altérer de façon irréversible la perméabilité autour des ouvrages dans un rayon d’une dizaine de mètres derrière le béton. Dans ses commentaires, l’Andra se garde bien d’évoquer cette problématique bien connue de l’EDZ (endommagement de la roche lié au creusement) qui annihile toute possibilité de fermeture définitive par scellement de ces galeries !
L’expérience démontre la vulnérabilité de la roche en cas d’élévation de la température
Dans le reportage, le test sur l’argile de Bure est montré à un expert international spécialisé dans le stockage en profondeur des déchets, Marcos Buser (géologue et expert en énergie nucléaire) qui confirme que "cette expérience montre en effet qu’une roche qui a des propriétés de conductivité thermique mauvaises, lorsqu’elle est réchauffée, se dilate et éclate en écaille", ajoutant que "l’argile est connue comme une roche qui a une capacité très limitée de conduire les températures." Il précise qu’en cas d’incendie, les tunnels même renforcés de béton ne pourront tenir qu’une à deux heures avant un possible écroulement local du dépôt (précisément ce que nous disions dès 2012, lire l’article de l’Est Républicain du 13/06/2012). Il ajoute qu’on ne pourra pas récupérer facilement les déchets radioactifs, qu’il s’agit "d’opérations compliquées de longue durée, et coûteuses, et risquées."
François Besnus (directeur de l’Environnement à l’IRSN) est à son tour interrogé sur la résistance des tunnels de Cigéo en cas d’incendie et confirme les résultats de l’expérience tout en nuançant les effets : la roche s’effritera effectivement si elle est directement au contact d’un incendie mais on compte sur l’épaisseur de béton pour faire tampon entre le stockage et la roche. Ceci dit, que penser du laps de temps évoqué par Marcos Buser, 1 heure à 2 heures ? Comment approcher un foyer en quelques heures parmi les 114 kms de galeries ou d’alvéoles MAVL dans un environnement souterrain avec un équipement lourd, très probablement dans des conditions d’obscurité absolue avec les fumées dégagées, par les services de secours ?
L’Andra ne déroge pas à ses habitudes et se contente de renvoyer à sa future démonstration de sûreté dans le cadre de sa demande d’autorisation de création (DAC) et d’affirmer que les conséquences d’un éventuel incendie ne seraient pas inacceptables à l’extérieur du site. Une démonstration d’arrogance et de contradiction supplémentaire qui n’échappe pas à Marcos Buser qui rappelle que "le cas du WIPP montre parfaitement que des réactions sont possibles et des réactions qui ne sont pas contrôlées et qu’aucun projet réalisé n’a fonctionné", ni à Mycle Schneider (analyste indépendant en politique nucléaire) qui considère que "l’ensemble de la stratégie sur l’enfouissement géologique est prématurée et en fait un signe d’arrogance scientifique que l’on ne devrait pas se permettre par rapport à des matières qui resteront problématiques durant des millions d’années".
L’argile de Bure est donc fortement sensible à l’augmentation de la température, ce qui conforte l’hypothèse suivante : elle constitue bien un facteur aggravant d’un risque incendie déjà systémique. Si l’Andra dit maîtriser ce risque, elle ne peut garantir qu’elle parviendrait à le contenir et les retours d’expérience ne jouent pas en sa faveur.
"Est-ce une bonne idée de confiner des déchets inflammables dans une roche qui ne supporte pas le feu ?"
La question est posée à l’IRSN dans ces termes au sujet des colis bitumineux, ces colis radioactifs qui ont été enrobés dans une matrice de bitume pour des raisons économiques, choix que l’on paye cher aujourd’hui : non seulement ces colis dégagent eux aussi de l’hydrogène mais sont hautement inflammables car ils ont comme particularité de présenter un risque élevé de réactions exothermiques : ils peuvent vite gonfler et s’enflammer, le risque étant que cet emballement s’étende en chaîne aux autres colis. François Besnus est catégorique : "Moi je vous réponds d’une autre manière, il vaut mieux ne pas stocker de colis inflammables, un incendie généralisé de ce type de déchets aurait pour conséquence de projeter à l’extérieur des quantités de radioactivité absolument significatives". Le directeur de l’Environnement semble ainsi prendre ses distances avec la recommandation du groupe international mandaté par l’Andra qui préconisait de rendre ces colis moins dangereux avant de les enfouir en ajoutant une enveloppe de béton supplémentaire de 20 centimètres.
Effet indirect : si ces colis bitumineux (représentant presque 1/5ème des déchets concernés par l’inventaire référence de Cigéo, volume non négligeable) ne peuvent être enfouis, cela signifie que Cigéo ne pourra pas davantage accueillir les combustibles usés en cas d’arrêt du retraitement des déchets nucléaires. Autant de déchets radioactifs pour lesquels le stockage géologique ne serait donc pas « la meilleure des solutions » mais plutôt à éliminer d’emblée ! Un grain de plus dans les rouages de la communication bien huilée de l’Andra qui compte déposer sa demande d’autorisation de création cette année : et si Cigéo était décidément la pire des options ?
Ce reportage permet en vérité de se faire une idée assez précise des questionnements qui perdurent autour du comportement de la roche, du risque incendie, de l’inventaire des déchets, de l’irréversibilité de Cigéo ; et qui selon tout bon sens doivent conduire à renoncer à la signature du décret d’utilité publique.