Visite annuelle de la CNE au Clis de Bure :
un vrai festival !
COMMUNIQUE COORDINATION STOP CIGÉO - 08/11/2023
Ce lundi 6 novembre, la Coordination Stop Cigéo avait prévu un couloir d’accueil impossible à ignorer (même tête baissée !), constitué de banderoles contre la poubelle nucléaire, pour l’arrivée des membres de la Commission Nationale d’Évaluation (CNE) chargée d’évaluer chaque année l’avancement des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets nucléaires. La moitié de ses membres était là pour présenter le rapport 2023 devant le Clis de Bure.
Pour autant, la Coordination n’en attendait rien. Chaque année, c’est la même pièce qui se joue : la CNE réaffirme son soutien à Cigéo, peu importe les problèmes soulevés !
A l’écouter, plus généralement, tout va bien dans le monde du nucléaire sauf quelques ajustements manquants dans le calendrier déjà obsolète de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), pas aligné sur les ambitions de relance du nucléaire du gouvernement. Sur Cigéo, pas grand-chose à dire : la présentation fut particulièrement lisse, presque rien ne déborde ! Plus c’est gros plus ça passe.. Seules les questions posées dans l’auditoire (en majorité par des opposant-es) ont distillé quelques doutes dans l’assemblée. A croire que la CNE oublie que nous connaissons bien le dossier !
Comme chaque année, nous n’avons rien appris de nouveau sur "l’évaluation scientifique" de Cigéo !
La CNE lui délivre un blanc-seing depuis toujours. Comment ? En faisant passer les importantes incertitudes pour des questionnements anecdotiques ou non décisifs dans l’immédiat ou en cours d’étude. En réalité, elle ne s’est même pas attardée sur Cigéo car l’instruction de la DAC est en cours, et elle rendra un avis officiel en temps voulu (fin 2025). Pas question de rendre des rapports intermédiaires... ni même de présenter les deux points qu’elle mentionne pourtant dans son nouveau rapport :
- Alors qu’elle a affirmé devant l’auditoire que l’inventaire de référence de Cigéo (pour lequel il serait conçu) est "bien défini", elle a oublié (volontairement ?) de mentionner les déchets bitumés, particulièrement inflammables, qui représentent tout de même 20% des déchets MA-VL, soit une part non négligeable. Faut-il les stocker en améliorant leur conditionnement (20 cm de béton supplémentaire, ce n’est pas la mer à boire !) ou neutraliser leur réactivité avant enfouissement (mais ça coûte cher et ce n’est pas encore possible au niveau industriel) ? L’Andra présente les deux options mais ne tranche pas ; c’est quand même bien problématique au moment où le projet devrait être particulièrement abouti et mature ! Ce qui n’empêche pas la CNE d’être résolument optimiste : des conteneurs renforcés pour ces déchets bitumés ? C’est "satisfaisant" ! Les spécifications utilisées pour estimer leur résistance à l’incendie ? "Très prudentes" ! La CNE plus rassurée que l’Andra !
- Dans son rapport, elle relève aussi que des travaux concernant la sûreté (sur l’évacuation des gaz produits par les déchets, l’hydrogène dû à la radiolyse pour les bitumés - ce n’est quand même pas rien) se poursuivent pendant l’instruction de la DAC. Aura-t-on des réponses avant l’enquête publique ? Rien n’est moins sûr, et cette incertitude ne fait que s’ajouter à la longue liste des insuffisances du dossier de l’Andra qui présente pourtant le projet comme prêt à être autorisé. Mais ça ne dérange décidément visiblement pas grand monde -dont les scientifiques de la CNE- que l’Andra se cache derrière un projet "itératif" pour minimiser les incertitudes et reporter à plus tard tout ce qui la dérange ou lorsqu’elle est à la bourre. Belle parade.
Mais la CNE a quand même sorti quelques perles ...
Etait-elle perturbée par un auditoire un peu dubitatif ? En tout cas, les questions posées ont mené à des réponses pour le moins surprenantes dont voici un échantillon :
- L’avis de la CNE à ce stade sur le sort des déchets bitumés ? Leur enfouissement "semble possible mais pas démontré". On attend encore de comprendre ce que ça veut dire !
- Les causes de l’accident mortel de 2016 à Bure (au bout seulement de 1,7 kms de galeries creusées dans le laboratoire) à propos duquel l’Andra ne fournit aucune explication ? La CNE "n’a pas le dossier en tête" !
- La faisabilité réelle, effective de la réversibilité de Cigéo ? De toute façon "l’objectif n’est pas de vider les alvéoles mais bien un stockage définitif". On dirait bien que la réversibilité n’est pas une priorité dans la conception de Cigéo, bien que cela soit une obligation définie dans la loi. Dommage que le Conseil Constitutionnel ne puisse rentrer dans des considérations techniques, il n’aurait peut-être pas affirmé que la réversibilité de Cigéo pendant la période d’exploitation prend suffisamment en compte les générations futures !
- Le montant des provisions financières pour la récupérabilité des déchets ? Le cadre légal de Cigéo "permet de ne pas constituer de provisions financières pour la récupérabilité, ce champ est complètement exclu. Si une génération décide de changer d’option durant la phase d’exploitation, ce sera à elle de payer puisque c’est elle qui le décidera"... Les générations futures apprécieront !
- L’actualité du projet suédois de stockage géologique des déchets radioactifs dans le granit ? La représentante internationale de la CNE, qui a d’ailleurs travaillé sur ce projet "le connait bien" et il est autorisé. (Ce n’est pas un mensonge.) Certes, le projet est autorisé depuis 2022, alors qu’il était mis en pause depuis 2018. La résistance des conteneurs en cuivre était questionnée, des expertises indépendantes ayant délivré des résultats contraires à ceux de SKB (l’équivalent de l’Andra en Suède) sur leur performance de confinement : ils pourraient se désintégrer beaucoup plus rapidement que prévu. Sauf que ce que la représentante manque préciser, c’est que l’autorisation est due à une alternance politique au niveau du gouvernement suédois... mais pas à des réponses scientifiques solides !
- Jusqu’à quand l’inventaire de référence de Cigéo pourrait-il modifié (par exemple si la durée de vie des réacteurs actuels était prolongée) ? "L’inventaire peut être rattrapé par l’adaptabilité de Cigéo". Un projet itératif on vous dit ! Tout est possible, vu que tout est politique. Pratique !
L’intérêt d’un inventaire délimité pour la phase-pilote de Cigéo ? "Pas de raison de limiter quantitativement et de fixer à l’avance un inventaire précis". Sauf que ne pas définir précisément les catégories et les quantités des déchets concernés par la phase-pilote revient de facto à accepter qu’elle n’ait pas de fin. Sans date de fin, Cigéo se poursuit à l’issue de la phase-pilote sans pause. Comment alors dresser un bilan et choisir si on poursuit ou non sur la voie de l’enfouissement ? Une belle entourloupe maintes fois dénoncée : ce n’est pas une période de test mais le début de Cigéo !
Heureusement que la CNE avait d’emblée félicité le travail de l’Andra qui "repose sur 30 ans de travail" : vu les réponses nébuleuses (ou absentes) à nos questions, on a envie de lui répondre "et surtout sur les siècles à venir". Bref les rapports de la CNE se suivent et se ressemblent. D’ailleurs, quel fut le mot de la fin des organisateurs ? "A l’année prochaine !"