2012 - Aspects économiques du stockage des déchets nucléaires
BERTRAND THUILLIER : DOSSIER COUT/REVERSIBILITE
Quels coûts pour le stockage des déchets HAVL-MAVL en Haute-Marne / Meuse ?
Cet article fait suite aux deux premiers volets ayant traité respectivement des
questions de nuisances, et des questions de sécurité concernant la création et l’exploitation
du site de stockage HAVL-MAVL. Nous rappelons également que ces informations
proviennent très largement des dossiers d’information transmis par l’ANDRA (dossiers Argile
2005, Zira_2009 disponibles sur le site de l’ANDRA et Argile 2009).
Notre démarche s’inscrit délibérément dans une approche de coût global ou de coût
complet de ce projet ; en effet, un tel projet générera immanquablement des pollutions
multiples, des oppositions, et des incertitudes dans les scénarios d’évolutions et de
retraitement de ces déchets dans le temps, présentant tous des impacts financiers.
Ces coûts, bien entendu non exhaustifs, ont été approchés ou catégorisés selon trois axes :
. Un coût direct, qui est le coût estimé pour la création et l’exploitation du stockage
. Un coût potentiel incluant la question de la réversibilité, en raison de l’incertitude quant au
devenir de ces déchets
. Un coût environnemental ou coût d’image, qui sera à différencier selon les territoires
concernés.
Coût direct du site.
Si on reprend les documents du dossier ‘Argile 2005’, il apparaît que
« le coût indicatif du stockage est de l’ordre de 15 milliards d’euros en fonction des
hypothèses retenues, le coût pourrait encore être modifié à ce stade » 1 ; en effet, quand on
observe les documents de 2011, les coûts estimés ont déjà été multipliés par deux : « Le
coût du stockage souterrain avait été chiffré en 2005 à 14,1 milliards d’euros (2003) par la
DGEMP33 (actuelle DGEC), soit 16,2 milliards d’euros (2010). Les chiffres qui sont
aujourd’hui avancés sont sensiblement supérieurs. On cite les chiffres de 20 à 35 milliards
d’euros (2010) » 2.
Il nous a semblé néanmoins utile de comparer ces estimations avec les coûts du seul
site comparable en exploitation dans le monde, le WIPP (Waste Isolation Pilot Plant), cette
comparaison est d’ailleurs issue des documents de l’Andra : « L’ensemble de quatre puits ...
peut se comparer au WIPP qui pour une profondeur comparable (650 m au lieu de 500 m),
mais pour des flux moins importants (volume d’excavation annuel de quelques dizaines de
milliers de mètres cubes, pas de béton, colis moins encombrants) comporte également
quatre puits » 3.
Ce projet américain qui reste très modeste en volume (10 fois plus petit en nombre
de mètres cubes excavés annuellement, 550 000 mètres cube en France) 4 a cependant déjà
coûté au contribuable américain environ 9 milliards de dollars, mais 7 milliards
supplémentaires sont à prévoir d’ici à 2017, et environ 20 milliards de dollars encore
additionnels, si finalement le projet était totalement arrêté (suspendu en 2010 par
l’Administration Obama) 5.
Il est ainsi facile de comprendre qu’il semblerait plus juste d’estimer les coûts du
projet français entre 100 à 200 milliards d’euros.
Coût potentiel
L’exemple américain montre également que l’arrêt du site coûte environ
autant que sa création. La possibilité d’un arrêt du principe d’enfouissement des déchets
nucléaires est déjà encadré par la loi, et demandé dans les débats public sous la notion de
réversibilité. Mais cette réversibilité, nécessaire par les incertitudes sur les possibilités de
traitement futurs de ces déchets, et selon les possibles scénarios d’évolutions du stockage,
ne semble malheureusement pas encore estimée, ni même provisionnée ; ainsi il est noté :
« Le financement d’une opération éventuelle de retrait de colis ouvre une problématique à
explorer d’ici 2015 : le financement d’une telle opération doit-il être assuré par la génération
qui décidera de construire et d’exploiter un nouveau module de stockage, par exemple en
constituant une provision pour une opération éventuelle de retrait futur, ou bien par la
génération qui déciderait ultérieurement une opération de retrait de colis ? Cette question
renvoie aux motivations possibles de la décision de procéder à un retrait de colis : objectif de
valoriser un déchet, émergence de nouvelles techniques, choix sociétal... » 6.
On apprend également plus loin que le problème risque même de retomber à
terme sur les collectivités locales : « La loi de 2006 fournit une structure de financement
pour la recherche et la construction et l’exploitation de stockage et d’entreposage...
Cependant, ces fonds ne couvrent pas le retrait potentiel des colis. Cette absence de
financement spécifique pour le retrait entame la crédibilité de la notion de réversibilité... le
coût associé au stockage et à sa réversibilité ne doit pas in fine invalider des éventuelles
options alternatives, ni incomber aux territoires d’accueil. » 7.
. Comment serait-il alors possible que les territoires d’accueil, à savoir les
départements de Haute-Marne et de Meuse, et respectivement, les régions Champagne-
Ardenne et Lorraine puissent prendre à leur charge de tels montants en cas d’évolution
négative du stockage ?
. En effet, qui prendrait en charge les coûts de réversibilité, rendue nécessaire par
une contamination prématurée du sous-sol, ou par un incendie majeur sur le site (cf. notre
volet sur la sécurité) ? Il est certain que cette absence de financement remet en cause
l’existence même d’une possible réversibilité.
Coût environnemental ou d’image. Dans notre premier volet traitant des nuisances, il a
été bien mis en évidence des pollutions multiples par les rejets gazeux, mais également par
les transports (5 000 colis de déchets transportés par an) 8 en raison d’une radioactivité
surfacique non fixée (plus de 791 millions de Becquerels estimés par an 9), et autorisée par
la législation des transports 10.
Il est certain que le coût environnemental de la dégradation de l’air autour du site
(voire à distance assez éloignée par le déplacement des aérosols et des particules fines) ou
des terrains (sol, contamination de l’herbe, des forêts avoisinantes, des cultures) n’est pas
encore chiffrable en compte de bilan dans une comptabilité publique et/ou en
dédommagements écologiques en terme de dégradation patrimoniale environnementale.
Cependant, en resserrant la focale sur les activités humaines financiarisées, il apparaît
qu’une image d’excellence ayant trait au patrimoine régional économique risque d’être
grandement impactée par ce type de projet, c’est l’image du champagne ; cette dernière peut
être aisément valorisée, par exemple, en considérant les valeurs des 10 plus grandes
marques de champagne.
Est-ce que la valorisation des marques de champagne ne serait pas écornée avec un
sous-sol champenois ainsi pollué. Si on ne devait, par exemple, ne prendre que la marque
« Moët et Chandon », celle-ci est estimée en 2011 à 4,383 milliards de dollars 11. Il n’est
pas inutile de rappeler la chute malheureuse de la marque Perrier12 suite à quelques pseudo
traces de benzène, cela a quand même eu pour conséquence un effet considérable et
désastreux auprès des consommateurs américains.
Un exemple encore plus près (récent) est illustré par le vignoble des coteaux du
Tricastin, ce dernier a été obligé de changer de nom : « Les viticulteurs du Tricastin, qui
bénéficiaient d’une AOC depuis 1973, cherchaient depuis des années à se démarquer du
complexe nucléaire implanté à partir de 1974-1975 dans trois communes voisines. Une série
d’incidents sur ce site, à l’été 2008, a précipité leur décision. Malgré un cortège d’analyses
démontrant l’absence de radioactivité suspecte dans le vignoble, l’appellation a perdu 40 %
de son volume en deux ans ». 13
Il s’agit dans le cas de notre stockage, de l’enfouissement de près de 99,96% de la
radioactivité totale des déchets nucléaires produits en France 14.
Pourra-t-on alors faire de même : changer le nom de la région pour éviter que celui-ci
ne salisse l’image de nos grandes marques de champagne ?
Pourra-t-on ne pas voir ces cohortes de journalistes ‘twitter’ à la terre entière lors de
l’arrivée des milliers de colis radioactifs, quand on a constaté que le passage d’un seul
convoi (dernier transport de déchets de la Hague vers Gorleben fin novembre de l’an dernier
15) à mobilisé autant de rancoeurs et de contestations ?
Que pèseront alors les explications de l’ANDRA face à une communication subtile
des autres vignobles californien, australien, péruvien, qui sauront, bien entendu,
habilement utiliser nos erreurs ?
En conclusion, a-t-on estimé à sa juste valeur le coût d’un tel projet dans ses
impacts différenciés selon que l’on se situe au niveau du département ou au niveau de
la région, et qu’en sera-t-il également à plus long terme dans notre possibilité de
retour en arrière par cette pseudo réversibilité d’enfouissement des
déchets radioactifs ?
Bertrand Thuillier
Docteur ès sciences
Professeur Associé
Références et documents cités
(A5 : dossier Argile 2005 – A9 : dossier Argile 2009 – A11 : Année 2011)
1 : A5_T1(stockage_266)/p.107
2 : A11_cne5/p.29
3 : A5_T2(stockage_268)/p.296
4 : A5_T2(stockage_268)/p.261
5 : http://www.powermag.com/nuclear/The-U-S-Spent-Nuclear-Fuel-Policy-Road-to-Nowhere_2651.html
6 : A9_réversibilité / p.24
7 : A9_réversibilité / p.99
8 : A9_sûreté / p.107, p.110
9 : Contamination surfacique de référence multipliée par les surfaces des colis du référentiel, en ne considérant
que la moyenne de 5 000 colis MAVL.
10 : A5_T2(stockage_268)/p.440
11 : http://www.interbrand.com/fr/best-global-brands/best-global-brands-2008/best-global-brands-2011.aspx
12 :http://brandfailures.blogspot.com/2006/12/brand-pr-failures-perriers-benzene.html
13 :http://www.lemonde.fr/planete/article/2010/06/09/les-vignerons-du-tricastin-vont-rebaptiser-leuraoc_
1370014_3244.html
14 : A9_réversibilité / p.27
15 : http://www.spiegel.de/politik/deutschland/0,1518,800489,00.html