2021 - Cigéo : les pouvoirs publics confrontés à une acceptabilité locale en baisse
ACTU ENVIRONNEMENT
07/04/2021
Cigéo : les pouvoirs publics confrontés à une acceptabilité locale en baisse C’est un projet qui engage sur des centaines, voire des milliers d’années. Un pas de temps vertigineux qui fait douter certaines collectivités locales alors que les pouvoirs publics les consultent sur le dossier de Cigéo.
«  Le village de Bure mourra écrasé par le rouleau compresseur qu’est l’Andra. »
Cette assertion inscrite dans l’avis rendu par le conseil municipal de Bure (Meuse) sur le dossier de demande de déclaration d’utilité publique (DUP) du projet Cigéo a de quoi interpeller les pouvoirs publics.
L’acceptabilité locale du centre de stockage de déchets radioactifs de moyenne et haute activité à vie longue (MA/HA-VL) est en effet essentielle pour la mise en service des installations programmées par les pouvoirs publics pour 2035. Or, au moins six communes sur la vingtaine de collectivités locales sollicitées ont, entre février et mars, rendu un avis négatif sur le dossier. Et ce, malgré l’accompagnement économique prévu par l’État.
Il faut dire que ce projet est peu commun. Si l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) prévoit une fermeture du site autour de 2150, les déchets stockés conserveront leur radioactivité pendant plusieurs centaines de milliers d’années.
«  Mise sous cloche du territoire rural »
À la date du 1er avril 2021, 19 avis de collectivités, sur les 24 sollicitées, sont en ligne sur le site de la préfecture de la Meuse. L’Andra, de son côté, recense d’ores et déjà quinze avis « Â positifs ou non qualifiés » et six négatifs. La région Grand-Est, les conseils départementaux de la Haute-Marne et de la Meuse ont émis des avis favorables, tout comme une majorité de communes et de syndicats intercommunaux.
Mais certaines communes, parmi les plus proches des futures implantations, ont fait part de leurs doutes. Après avoir relevé que « Â Cigéo s’approprie les routes, les chemins sans concertation, ni avis », la commune de Bure estime qu’elle « Â n’a pas à subir » l’aménagement de son territoire. Sa voisine, Mandres-en-Barrois, a également émis un avis négatif « Â au titre du principe de précaution » tant que toutes les questions qu’elle soulève n’auront pas trouvé de réponse de la part de l’Andra et d’un cabinet scientifique indépendant. Parmi ces questions, les risques en cas d’accident pour les habitants « Â en hyper proximité » ou encore les insuffisances sur les retombées fiscales du projet pour la commune.
D’autres ont émis un avis favorable mais assorti de nombreuses réserves. C’est le cas de la commune de Guillaumé qui réclame notamment la surveillance de la santé de sa population par un organisme indépendant ou la participation aux réunions du comité de haut niveau. Ce comité, mis en place en 2005 et censé réunir les principaux acteurs industriels, politiques et économiques du projet, s’est réuni le 16Â mars dernier sous la présidence de la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili. De son côté, la commune de Saudron pointe « Â la récurrence regrettable des contrôles (…) effectués sur la population locale » ou encore « Â le sacrifice et la mise sous cloche (…) du territoire rural d’accueil ».
Les collectifs et associations locales opposés au projet saluent dans un communiqué « Â une prise de conscience salutaire » qui « Â semble saisir de nombreuses communes et collectivités ». « Â Les restrictions des libertés individuelles et collectives ne feraient que s’intensifier si la demande d’utilité publique (DUP) en cours d’étude a (sic) une réponse positive et si la région cède la place à l’installation du chantier européen le plus risqué du siècle », estiment les associations.
«  Une forme d’assurance pour les générations futures »
Ces avis ont été sollicités sur le dossier de demande de DUP déposé en août dernier par l’Andra. Ce dossier, qui compte plus de 3Â 000Â pages, comprend l’étude d’impact du projet, les premiers avis émis par différentes instances, ainsi qu’un bilan de la participation du public, notamment suite au débat public de 2013.
Le 13Â janvier dernier, l’Autorité environnementale (Ae) a rendu un avis très critique sur ce dossier, pointant en particulier une insuffisante prise en compte des enjeux environnementaux et l’absence de rapport de sécurité. Une charge qui n’est sans doute pas restée sans effet sur les élus locaux. Suite à cet avis, un collectif d’associations et de syndicats avaient réclamé dans une tribune au Monde de mettre fin au projet. « Â Plus d’un milliard d’euros ont déjà été dépensés sur le territoire, travestissant Cigéo en trompeuse opportunité, alors que le piège de la désertification programmée des départements de la Meuse et de la Haute-Marne sera fatal », pointaient les signataires.
«  L’avis ne contient pas d’éléments remettant en cause les choix structurants d’implantation du projet. Il formule cependant une quarantaine de recommandations, appelant à l’étude de mesures complémentaires ou de justifications », tempère Sébastien Crombez, directeur sûreté, environnement et stratégie filières de l’Andra. L’établissement public annonce un mémoire en réponse qui complètera le dossier d’enquête publique et les actualisations de l’étude d’impact.
L’établissement public met aussi en avant l’avis favorable rendu le 5 février par le Secrétariat général pour l’investissement (SGPI), service chargé de la mise en œuvre du programme d’investissement d’avenir (PIA) sous l’autorité du Premier ministre. Ce dernier a fait réaliser une contre-expertise sur l’évaluation socio-économique du projet effectuée par l’Andra. Il considère que le projet a «  une forte valeur prudentielle et assurantielle face aux risques environnementaux et sanitaires » en comparaison avec l’option d’entreposage de longue durée des déchets radioactifs.
Ce qui fait dire à l’Andra que «  face à un risque faible (environ 10 %) de dégradation de la société à l’horizon de 150 ans, Cigéo constitue une forme «  d’assurance » dont la société pourrait vouloir bénéficier pour mettre définitivement en sécurité les déchets radioactifs les plus dangereux, tout en limitant les charges supportées par les générations futures ». Une analyse pas très éloignée de «  la moins mauvaise solution » dépeinte par le ministre Nicolas Hulot en 2017.
«  Développement local ambitieux et efficace »
Mais il faut aussi noter que le SGPI pointe « Â un risque important et sérieux de dérive des coûts, dont l’analyse paraît insuffisante ». Un coût établi à 25Â milliards d’euros par un arrêté signé par Ségolène Royal en 2016. Parmi les recommandations formulées par le service du Premier ministre, l’une concerne la concertation avec les territoires « Â qui représente un enjeu majeur du projet ». Pour celui-ci, cette concertation doit « Â aboutir, dans les faits, à un développement local ambitieux et efficace, tout en maîtrisant le poids global des prélèvements fiscaux sur le coût du projet ».
De la même manière que pour l’avis de l’Autorité environnementale, l’Andra annonce un mémoire en réponse aux questions posées par les collectivités et relevant de sa compétence. «  À travers leurs avis, les collectivités territoriales passent de considérations parfois un peu abstraites, car à très long terme (…), à ce qui se passerait demain sur les traversées de village, la gestion des eaux, etc. », analyse Pierre-Marie Abadie, directeur général de l’établissement public. «  Cigéo est un contrat entre un territoire et la Nation. Le territoire est susceptible d’accueillir les déchets HA et MA-VL français. En contrepartie, il attend du soutien, de la considération et du développement économique », ajoute le directeur de l’Andra.
Ce mémoire en réponse sera, lui aussi, intégré au dossier d’enquête publique. Le dossier de DUP, en cours d’instruction par les services de l’État, doit en effet faire l’objet d’une enquête publique. Une procédure qui, si tout se passe bien pour l’Andra, pourrait déboucher dès cette année sur la signature d’un décret déclarant d’utilité publique le projet.
Parallèlement, le maître d’ouvrage va déposer la demande d’autorisation de création (DAC) des installations qui devrait aboutir à un décret d’autorisation en 2025. Objectif ? Lancer la phase industrielle pilote du projet dans la foulée pour un lancement de l’exploitation courante à compter de 2035.