2023 - Déchets nucléaires :
le scénario noir de l’arrêt des centrales EDF
FRANCE 2
12/10/2023
Alors que l’Etat mise à nouveau sur le nucléaire, "Complément d’enquête" se penche sur un dossier sensible, celui du recyclage du combustible de nos centrales, et révèle un chiffre inédit : les piscines de l’usine de La Hague sont aujourd’hui pleines à 97% ! Et en cas de saturation totale des installations, il existe bel et bien un risque pour le bon fonctionnement du parc nucléaire. Le magazine de France 2 s’est penché sur ce scénario noir.
Si l’on en croit les industriels de la filière, le combustible de nos centrales nucléaires ne produit que 4% de déchets dits "ultimes". Sur les 96% de matière valorisable restante, seul 1% est aujourd’hui vraiment réutilisé dans les réacteurs d’EDF. C’est le plutonium, sous forme de MOX (Mélange d’OXyde de plutonium et d’OXyde d’uranium). Le problème, c’est que ce nouveau combustible n’est, lui, pas recyclable... et parfois même inutilisable, car l’usine Orano (ex-Areva) qui le produit connaît quelques ratés.
Des piscines d’entreposage remplies... à 97%
Ce sont ces déchets et rebuts de MOX qui viennent s’accumuler année après année dans les piscines d’entreposage de l’usine Orano à La Hague. Selon David Boilley, un expert critique du nucléaire interrogé par "Complément d’enquête", "on a frôlé la saturation".
Ce risque de saturation est pris très au sérieux par les autorités de contrôle du nucléaire. A La Hague, jamais un tel taux de remplissage n’avait été atteint, confirme le directeur adjoint de l’usine, qui cite le chiffre (inédit) de 97%. Face à l’urgence, l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire) a autorisé le site à "densifier" temporairement ses piscines à partir de 2024 – c’est-à-dire à les remplir davantage...
Un rapport caviardé
Ce mot de "saturation" serait-il tabou chez les exploitants ? En 2016, dans un rapport officiel de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), le chapitre sur la saturation des piscines a été presque entièrement noirci. Et ce "à la demande d’EDF, d’Orano et de l’Andra, qui ont appliqué la loi sur le secret des affaires", affirme David Boilley.
Selon l’expert, ce rapport caviardé "pointe vraiment le risque de saturation à cause de la procrastination d’EDF, qui n’a pas augmenté ses entreposages à temps". De quoi mettre à mal, selon lui, le discours des industriels ("Le nucléaire produit très peu de déchets, et on les maîtrise") : "Si on est obligé d’arrêter un réacteur nucléaire pour un problème de déchets parce qu’on n’a plus la place pour les mettre, en terme d’image, c’est désastreux pour eux."
Le scénario noir de l’ASN
Peut-on vraiment imaginer des centrales nucléaires mises à l’arrêt parce que la place manque pour stocker les combustibles usés et les rebuts de MOX ? Ce scénario noir fait partie des hypothèses de travail de l’ASN, le gendarme du nucléaire. Pierre Bois, son directeur général adjoint, se veut rassurant ("Il y a des parades pour les besoins en entreposage"), mais admet que "dans l’hypothèse la plus contraignante, où les capacités d’accueil des combustibles usés ne seraient plus en mesure de faire face à ce qui est produit par le parc, cela aurait un impact sur la possibilité d’exploiter les centrales nucléaires". A la Hague, une nouvelle piscine d’entreposage est bien prévue. Mais elle ne sera pas construite avant 2034.
Extrait de "Déchets nucléaires : quand nos poubelles débordent", un document à voir dans "Complément d’enquête" le 12 octobre 202