2018 - L’entreposage à sec des déchets nucléaires est enfin envisagé en France
REPORTERRE
09/06/2018
Vendredi 8 juin, l’IRSN a remis un rapport comparant les types d’entreposage des combustibles nucléaires usés. Et pour la première fois en France analyse l’entreposage à sec. Enjeu caché : l’avenir de la filière française de retraitement.
L’entreposage des combustibles nucléaires usés en piscine pratiqué en France est-il sûr ? Plus ou moins que l’entreposage à sec, dans des conteneurs par exemple, procédé auquel recourent la plupart des autres pays nucléarisés ? À l’heure où se peaufine un projet de nouvelle mégapiscine d’entreposage dans la centrale nucléaire de Belleville-sur-Loire (Cher), et quelques mois après un rapport accablant sur la sécurité des piscines commandé par Greenpeace France, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a été chargé le 26 mars dernier par la commission d’enquête parlementaire sur la sûreté et la sécurité nucléaires de démêler ces épineuses questions. Mais son rapport, dévoilé vendredi 8 juin dans ses locaux de Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine), se garde bien de trancher. « La piscine est indispensable pour les combustibles nucléaires usés peu refroidis, et l’entreposage à sec convient bien pour les combustibles refroidis. D’autre part, le type de combustible va influencer le choix du type d’entreposage choisi, en fonction de sa chaleur. Enfin, la puissance thermique d’un combustible ”” c’est-à-dire sa chaleur ”” est un paramètre déterminant pour la sûreté de l’entreposage », a résumé Jean-Christophe Niel, directeur général de l’IRSN.
Pour mieux comprendre, retour dans le cœur du réacteur, où se produit la réaction nucléaire. Au bout de trois ans, les assemblages de combustible nucléaire usé ”” soit à base d’oxyde d’uranium (UNE), soit à base d’un mélange d’oxyde d’uranium et d’oxyde de plutonium (MOx) ”” sont extraits de la cuve et transférés dans la piscine dite « de désactivation », dans le bâtiment « combustible » collé au bâtiment « réacteur ». Ils y passent plusieurs années sous l’eau, en attendant d’avoir suffisamment refroidi pour pouvoir être transportés. « Un an après le déchargement, la puissance thermique d’un assemblage de combustible UNE usé est encore de sept kilowatts ; celle d’un MOx, de quatorze kilowatts ; or, il n’est pas possible de transporter un assemblage de combustible usé dont la puissance thermique est supérieure à six kilowatts », a précisé M. Niel. Une première étape de refroidissement en piscine, juste à côté du réacteur, est donc indispensable.
Elle peut même durer une quarantaine d’années pour le MOx qui, contenant du plutonium, a une température plus élevée et refroidit bien plus lentement que le combustible ne contenant que de l’uranium. « Des MOx commencent juste à être entreposés à sec dans le monde, a indiqué Igor Le Bars, adjoint au directeur au pôle sûreté nucléaire de l’IRSN. Mais le sujet du MOx reste compliqué car les caractéristiques de ce combustible ont évolué dans le temps ”” on y mettait moins de plutonium auparavant. Les MOx sont plus chauds et leur pression interne est plus élevée. Des études internationales sont en cours sur ce sujet. »
Des avantages et des inconvénients à chaque type d’entreposage
Quoi qu’il en soit, c’est après la première phase de refroidissement en piscine que la question du choix entre un entreposage à sec et un entreposage sous eau se pose. La décision devient alors politique et dépend de l’avenir envisagé pour les combustibles nucléaires usés : retraitement ou stockage définitif. « Les pays qui ont choisi le retraitement ”” France, Japon, Russie ”” ont opté pour un entreposage dans les piscines de l’usine de retraitement, a indiqué le directeur général de l’IRSN. Les autres pays ont préféré l’entreposage à sec, performant à condition que le combustible usé ait suffisamment refroidi et que sa puissance thermique n’excède pas deux kilowatts. » L’intérêt de l’entreposage en piscine est alors de garder les assemblages de combustible nucléaire usé facilement accessibles pour les opérations de retraitement, sans avoir à multiplier les opérations de conditionnement et de déballage. « Les combustibles UNE actuellement utilisés par EDF pourraient […] être entreposés à sec après environ cinq ans de refroidissement. Cependant, au regard du temps restant avant traitement, l’intérêt de l’utilisation de ce type d’entreposage paraît limité », souligne ainsi l’IRSN dans le résumé de son rapport.
Jean-Christophe Niel, le directeur général de l’IRSN, remet le rapport sur l’entreposage aÌ€ la députée Barbara Pompili, rapporteuse de la commission d’enquête parlementaire. À droite, Paul Christophe, le preÌ sident de l’IRSN.
Dans ce rapport, l’IRSN a identifié des avantages et des inconvénients à chaque type d’entreposage. Ainsi, la piscine est bien adaptée aux combustibles dotés d’une forte puissance thermique. « L’eau est un bon caloporteur, c’est-à-dire qu’il évacue bien la chaleur », a apprécié M. Niel. En revanche, en cas de perte d’eau, d’immenses quantités de combustible concentrées au même endroit (plus de 9.900 tonnes de combustible sont entreposées les bassins de l’usine de retraitement de La Hague dans la Manche) ne seraient plus refroidies, une réaction nucléaire pourrait se déclencher et ses conséquences en seraient dramatiques. Le résumé du rapport décrit « des conséquences très importantes pour l’environnement, avec une impossibilité d’accéder au proche voisinage de la piscine du fait du débit de dose induit par les combustibles, en l’absence d’atténuation des rayonnements par l’eau ». « L’accident de Fukushima a montré que les piscines avaient des vulnérabilités », a admis le directeur général de l’IRSN. Avant d’ajouter qu’un important travail sur les standards de sûreté des piscines avait été réalisé depuis la catastrophe du 11 mars 2011, prévoyant de nouvelles pompes pour alimenter en eau des structures endommagées, des capacités électriques pour les faire tourner et une coque avion pour protéger les bassins d’éventuels impacts. Autre inconvénient, la construction d’une piscine est longue, environ dix ans.
En arrière-fond, la question de l’avenir de la filière de retraitement française
En comparaison, l’entreposage à sec, particulièrement adapté pour les combustibles bien refroidis, est décrit comme plus facile à mettre en œuvre. « Il peut être passif, c’est-à-dire qu’il n’y a pas forcément besoin d’y prévoir un système de ventilation. Il suffit que de l’air circule autour des conteneurs. En outre, si un accident survenait, ses conséquences seraient moindres. Enfin, sa construction est plus rapide, environ cinq ans », a expliqué M. Niel. Avec un point de vigilance toutefois : ce type d’entreposage, parfois dans des conteneurs soudés et étanches, rend difficile la surveillance du vieillissement des gaines à base de zirconium qui entourent les pastilles de combustible et qui constituent la première barrière de confinement de la radioactivité. À l’inverse, il est plus facile d’examiner directement ces gaines quand les assemblages de combustible sont conservés sous eau. Autre point soulevé par l’IRSN : la température des combustibles usés reste plus élevée dans un entreposage à sec (entre 200 et 300 °C) que dans un entreposage en piscine (environ 50 °C). Or, des températures élevées pourraient endommager les gaines et accélérer leur vieillissement. « Si la température du combustible dépasse 600 °C en présence de vapeur d’eau, une réaction violente peut se produire », a précisé le directeur général de l’IRSN.
Quels enseignements la commission d’enquête parlementaire a-t-elle tirés de ce rapport ? «
Aujourd’hui, on sait que l’entreposage à sec est envisageable mais qu’il dépend de choix politiques, a estimé Barbara Pompili, rapporteuse. On a suffisamment d’éléments pour dire que l’arbitrage entre les deux peut être fait et qu’il n’est pas interdit par la législation, contrairement à ce qui nous a été dit. Ce rapport élargit la palette des possibles. » Avec, en arrière-fond, la question de l’avenir de la filière de retraitement française. « On pourrait penser que la question du retraitement ne concerne pas la commission, dont le travail se concentre sur la sûreté et la sécurité. Mais on en parle quand même, parce qu’il est maintenant reconnu que les piscines d’entreposage de La Hague, par la concentration de combustible qui s’y trouve, ont été identifiées comme un point de vulnérabilité en matière de sûreté et de sécurité ». Le rapport final de la commission d’enquête sera dévoilé le 5 juillet prochain.
LE PROJET DE PISCINE D’ENTREPOSAGE CENTRALISÉ POSE D’INÉDITES QUESTIONS DE SÛRETÉ
Environ 9.970 tonnes de combustible nucléaire usé sont actuellement entreposées dans les quatre bassins de l’usine de retraitement de La Hague (Manche), dont la capacité maximale autorisée s’élève à 14.000 tonnes. « Les évaluations faites à ce jour avec les hypothèses d’aujourd’hui aboutissent à une saturation des bassins vers 2030, a averti Jean-Christophe Niel, le directeur général de l’IRSN. Mais si un aléa se produit dans le processus de retraitement, cela peut arriver plus vite. Cela dépend aussi d’autres éléments, par exemple la quantité de combustible usé retraité pour en extraire du plutonium et faire du MOx… »
Du combustible nucleÌ aire useÌ deÌ chargeÌ aÌ€ l’usine de retraitement de La Hague.
Pour pallier cette saturation, EDF projette de construire une nouvelle piscine d’entreposage centralisé dans la centrale de Belleville-sur-Loire (Cher). L’IRSN est actuellement en train d’examiner le dossier d’options de sûreté remis par l’exploitant à l’Autorité de sûreté nucléaire un an auparavant. « On aura plusieurs sujets d’attention. Notamment, cette piscine devra répondre aux standards de sûreté les plus récents, adoptés après les attentats du 11-Septembre et l’accident de Fukushima. » Surtout, EDF a prévu que cette piscine serait en fonction pendant plus d’un siècle. « C’est une durée complètement inhabituelle, a souligné M. Niel. Cela va poser des questions inédites : quelle sera la nature de nos exigences de sûreté ? Par exemple, on sait que l’intensité des séismes a tendance à augmenter au fil du temps. À quelle puissance de séisme la piscine devra-t-elle résister ? Comment la structure va-t-elle vieillir ? Quelle sera la tenue du béton au bout de cent ans ? Ce qui est clair, c’est que cette piscine devra apporter un gain de sûreté important par rapport aux installations existantes. »