Le Figaro / De notre envoyée spéciale à Bure (Meuse), Anne Jouan 9.10.08
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Nucléaire : un laboratoire à 500 mètres sous terre

Dans un petit village lorrain, l’Andra étudie la faisabilité d’un centre de stockage souterrain de déchets radioactifs.
Aux confins de la Meuse et de la Haute-Marne, au milieu de rien ou presque, les éoliennes poussent un peu partout. « Franchement, tu aimerais toi, en avoir une au fond de ton jardin ? Ça fait tellement de bruit et en plus, ça clignote la nuit… », lance le premier. « Sans compter tout le bazar des fils souterrains pour les relier entre elles », rétorque le second. Dialogue très sérieux entre deux salariés de l’Agence pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) chargée de la gestion des déchets radioactifs produits en France. Pour eux, c’est simple : les éoliennes non, les déchets nucléaires oui !

Pour descendre au fond du « trou », comme on dit ici, l’équipement est de rigueur : bottes en caoutchouc, blouse blanche, gilet fluorescent, casque de chantier. Sans oublier la boîte et le masque à oxygène en cas d’incendie dans le tunnel ainsi que le détecteur de mouvement qui se met à sonner en cas d’immobilité de plus de 20 secondes. L’ascenseur, véritable cage pour claustrophobes, met huit longues minutes à descendre. En bas, les techniciens s’affairent huit heures par jour, par 24 °C, sans remonter à la surface. Les parois des galeries sont grises, de la couleur de la roche (l’argilite) qu’ils creusent sans faiblir pour respecter le calendrier législatif.

La loi Bataille de 1991 sur la gestion des déchets radioactifs posait à l’Andra la question suivante : « un stockage sûr et réversible est-il faisable en Meuse et Haute-Marne dans la couche argileuse ? » Fin 2005, l’agence répond par l’affirmative. Avec la loi de 2006, c’est à une autre question qu’elle doit s’atteler : « où et comment construire et exploiter un tel stockage ? » Si le lieu exact du futur site n’est pas encore défini, une « zone de transposition » de 250 km² autour du laboratoire a déjà été définie. Les dossiers de reconnaissance doivent être remis au gouvernement avant 2013, date à laquelle ce dernier choisira, après un débat public, l’emplacement définitif, parmi un choix de plusieurs sites dans la région.

En attendant, au fond du trou, les ouvriers, avec leurs casques antibruit vissés sur le crâne s’activent. Depuis la fin des années 1990, l’Andra est implantée à Bure, petit village meusien de 80 habitants. Dans son laboratoire expérimental situé à 500 mètres sous terre, elle étudie la faisabilité d’un stockage géologique profond, en formation argileuse, des déchets de haute activité et à vie longue (HAVL), les plus virulents (voir encadré). À l’heure actuelle, ils sont vitrifiés et enfermés dans des conteneurs en acier et entreposés temporairement dans des puits bétonnés, sur le site de l’usine de retraitement de la Hague (Cotentin).

Imperméabilité de l’argile

Dans une vingtaine d’années, ces blocs de verre - appelés « colis » -, seront placés dans des conteneurs en acier eux-mêmes disposés à 500 m sous terre, dans des alvéoles constituées de matériaux choisis pour leur résistance et leur étanchéité. Le pire scénario serait que des conteneurs se corrodent, ce qui est certes envisageable, mais au bout de milliers d’années, et que de l’eau arrive au contact des blocs de verre contenant les radioéléments. Mais pour l’instant et jusqu’en 2015 - date à laquelle la demande d’autorisation du site de stockage sera instruite, la mise en exploitation d’un futur centre de stockage n’intervenant au mieux qu’en 2025 -, les déchets nucléaires en France ne sont pas enfouis, y compris à Bure.

Au fond de ce qui ressemble à une mine argileuse, l’Andra a entamé neuf nouveaux programmes d’étude dont une expérimentation souterraine qui étudie les phénomènes géologiques. Elle passera de l’échelle du forage (à savoir une dizaine de centimètres de diamètre) à celle d’une alvéole de stockage (un mètre de diamètre) dans le but de procéder à des essais en grandeur réelle. Les scientifiques veulent recueillir des données précises sur le comportement de la roche au contact des radio-éléments.

Depuis un an, à Tréveray, (Meuse), l’Andra a réalisé 14 nouveaux forages afin de compléter la connaissance de la zone de transposition de 250 km² dont les caractéristiques géologiques sont semblables à celles observées dans le laboratoire souterrain. L’Agence compte ainsi proposer une zone restreinte, d’environ 30 km² où pourrait être implanté le futur site de stockage.

À Bure, les scientifiques de l’Andra en sont persuadés : seules des décisions politiques peuvent retarder le calendrier. Car leurs arguments en faveur d’un stockage souterrain sont rodés : parfaite imperméabilité de l’argile (l’eau met plus de 300 000 ans pour parcourir un mètre !), très faible teneur en eau du sol, failles géologiques plus que millénaires et absence de séisme depuis les périodes de sismicité historique.


Le site expérimental de Bure, attraction touristique locale
En un an, l’Andra a reçu 5 000 visiteurs à Bure et accueille une exposition sur les volcans destinée aux collégiens et lycéens.

« Monsieur, elle est où sur votre questionnaire la question sur la lave ? », interroge une élève de 4e en s’adressant à son professeur de physique. Si ce matin-là ils étaient 70 collégiens à visiter l’exposition « Séismes et volcans », installée sur son site de Bure (Meuse), l’Agence nationale de gestion des déchets radioactifs (Andra) en attend 2 500 jusqu’au 11 novembre prochain.

Sponsor de cette manifestation inaugurée l’an dernier à Paris au Palais de la découverte, c’est l’Andra qui lui prête désormais ses murs. Magnifique opération marketing dénoncée d’ailleurs par les antinucléaires présents à l’entrée du site qui crient ironiquement à l’adresse des bus scolaires : « Allez donc vous amuser, les enfants ! »

Pédagogie et débat

Faire venir les habitants de la région afin de leur expliquer ce qui se passe sous terre est l’une des missions que s’est donnée l’Andra. Il faut dire qu’elle vient de loin en matière de pédagogie et de débat avec les populations. Il y a une vingtaine d’années, la reconnaissance géologique des zones géologiquement acceptables pour un futur stockage avait commencé sans concertation aucune avec la population. De vives oppositions locales étaient apparues et avaient contraint l’Andra à abandonner les recherches sur les quatre sites choisis, malgré l’envoi de gardes mobiles pour assurer la protection des scientifiques. Afin de résoudre la situation, Michel Rocard, alors premier ministre, avait décidé d’un moratoire le 9 février 1990 pour une période d’au moins douze mois. Il avait également saisi le Parlement et confié au député PS du Nord, Christian Bataille, la mission de revoir l’intégralité du dispositif. L’année suivante, la fameuse loi de 1991 qui porte son nom organisait les recherches sur la gestion future des déchets radioactifs.

À Bure, huit salariés de l’Andra sont affectés en permanence à l’accueil des visiteurs. Certains riverains viennent même en famille. L’an dernier, l’Andra a comptabilisé pas moins de 5 000 entrées. 1 000 personnes sont descendues gratuitement dans les galeries. Tous les élus locaux ont fait de même. « Il faut ouvrir le trou sinon on est cuit », résume en toute franchise un salarié de l’Andra.