2010 - Le stockage en profondeur des déchets nucléaires violemment contesté outre-Rhin
Source : L’Est Républicain
09/11/2010
Le casse-tête radioactif allemand
La gestion des déchets radioactifs est le talon d’Achille de l’énergie nucléaire en Allemagne, et ce casse-tête insoluble pérennise les fortes mobilisations qui se manifestent systématiquement outre-Rhin dès qu’un convoi de containers « Castor » franchi le fleuve ou dès que Berlin relance l’idée d’un stockage en couches profondes, comme dans le dôme de sel de Gorleben (Basse-Saxe). Chez nos voisins, le principe de confier les poubelles de l’atome à la « digestion » géologique ne date pas d’hier, mais il a montré ses limites, au point de déclencher au printemps 2008 un énorme scandale sur le site d’Asse, une mine de sel désaffectée proche de la ville de Braunschweig, dans le centre du pays. Pour les autorités et certains scientifiques convaincus par les voies de l’enfouissement, Asse était le lieu idoine, car « géologiquement stable » depuis 70 millions d’années et donc imperméable. Entre 1967 et 1979, 126.000 fûts bourrés de déchets faiblement ou moyennement radioactifs ainsi que 11 kg de plutonium sont entreposés entre 500 et 750 m dans des cavités salines. Le repos étanche et éternel ? Pas du tout. Le scandale éclate lorsque la société gestionnaire avoue pomper chaque jour 12 m3 d’eau qui s’infiltrent dans la mine...depuis 1988 ! L’eau contaminée au césium 137 est récupérée et réinjectée plus loin, plus en profondeur, sans la moindre autorisation de l’Office fédéral pour la radioprotection ( BfS), l’homologue de l’Autorité de sûreté nucléaire en France.
Asse, Gorleben, Bure...
Et pour cause, l’exploitant n’a jamais averti le gendarme du nucléaire germanique... À l’annonce de la fuite, les écolos vocifèrent, l’opinion est choquée. L’affaire embarrasse d’autant le gouvernement d’Angela Merkel qu’il envisage de relancer le nucléaire civil après la décision politique, en 2000, de fermer les 17 centrales du pays accompagnée d’un moratoire de dix ans sur le stockage des déchets en profondeur. La date est échue cette année et comme Angela Merkel vient de prolonger de 12 ans la durée de vie des 17 réacteurs du pays, le stockage dans l’ancienne mine de sel de Gorleben rebondit. Cette décision pèse son stock de déchets : 4.800 tonnes, soit 500 « Castor » supplémentaires.« La leçon d’Asse n’a pas été retenue. Depuis 1986, au motif officiel de prospecter le site, on construit un centre de stockage définitif à Gorleben sans que la population soit consultée. Tous les résultats négatifs, comme les contacts possibles avec l’eau ou la présence de poches de gaz, ont été ignorés », souligne Wolfgang Ehmke porte-parole de l’ONG écologiste Lüchow-Dannenberg. Environ 1,5 milliards d’euros ont déjà été injectés dans l’exploration du dôme de sel de Gorleben et Berlin estime l’investissement supplémentaire à une somme similaire, prise en charge à 99% par les sociétés privées qui gèrent le parc électronucléaire. En attendant, les déchets ultimes renvoyés après retraitement par l’usine française de la Hague dorment en surface, « stockés dans des containers posés verticalement dans un immense hangar ventilé pour qu’ils refroidissent ! » commente Yannick Rousselet, de Greenpeace. En Basse-Saxe, la police n’a donc pas fini de jouer de la matraque pour dégager les rails tant l’opposition est active et transfrontalière. « Gorleben et Bure, même combat », soutient Nadine Schneider, du Réseau Sortir du nucléaire, « A Bure, aucune expertise indépendante n’a été réalisée et le sous-sol argileux qui contient des failles est un immense réservoir d’eau qui alimente la Seine et la Meuse. L’enfouissement conduira à la contamination radioactive de zones entières ». Plutôt que de les confier aux profondeurs du sous-sol, les écolos préconisent d’entreposer ces déchets sur les centrales où ils ont été produits. Mais cette solution a aussi ses limites...
Patrice COSTA