Dans le Grand Est, trois sites majeurs impliquent la filière française de l’atome civil : la centrale de Cattenom (Moselle) celle de Fessenheim (Haut-Rhin) et Bure dans la Meuse où il est prévu ”” jusqu’à présent ”” de créer un stockage géologique des déchets issus des combustibles nucléaires.

Trois installations qui figurent forcément dans le collimateur d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV). Mais là, loin de la grosse scène de ménage qui secoue actuellement la famille écolo à la suite de l’accord « programmatique et électoral » avec le PS, tout baigne. Pas l’ombre d’un méchant nuage à l’horizon.

« François Hollande et Martine Aubry ont acté la fermeture immédiate de Fessenheim et ils se sont engagés à reconvertir Bure en pôle d’excellence de la recherche sur le démantèlement des centrales. C’est exactement ce que nous souhaitions », explique l’eurodéputée Sandrine Bélier. Quant à Cattenom, « le site entrera dans le processus de moyen terme de sortie du nucléaire », ajoute la parlementaire. Projection que Bertrand Mertz, maire socialiste de Thionville et membre du bureau national du parti préfère éluder : « les Verts de mon secteur n’ont jamais demandé la fermeture de Cattenom », dit-il en rappelant qu’après Fukushima, le PS est bien entré dans la réflexion d’une stratégie de diminution de la part du nucléaire dans l’énergie.

Bure et le précédent Voynet

Pas d’anicroches donc, même si plusieurs voix écolos tempèrent cette belle entente cordiale, notamment dans la Meuse : « A Bure, l’idée d’un centre de recherche va induire le transport de déchets irradiés. Nous aurions préféré que le traitement s’effectue à proximité des centrales qu’on va démanteler pour éviter ces convois très dangereux », relativise la Meusienne Dominique Donga, nouvelle cosecrétaire régionale d’EELV. « Ici, on en a vraiment marre d’être traités de poubelle ! ». Sur ce point, l’élue Verte rejoint les troupes des militants anti-Bure en lutte contre la future « poubelle » depuis le choix du lieu et le lancement du chantier en 1999 grâce au feu vert d’une certaine Dominique Voynet, alors ministre de l’Environnement du gouvernement Jospin.

Un geste que Corinne François du collectif Bure-stop n’a pas oublié. D’où sa réaction de colère : « cet accord est du pain béni pour les socialistes car il brille par son ambiguïté. Dans le texte, on accole le titre de pôle d’excellence à celui de centre de traitement des déchets. En clair, on va l’avoir cet enfouissement ! ». Les trois sites vont désormais devoir attendre le verdict des urnes au printemps 2012 pour connaître leur sort. Mais finalement, mis à part Fessenheim, rien n’est vraiment joué.

Etat des lieux

Fessenheim : L’un des deux réacteurs de 900 MW de l’indéboulonnable doyenne du parc nucléaire de l’Hexagone a repris du service début novembre après le feu vert de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) pour rempiler 10 ans. Mais EDF l’a arrêté dimanche dernier pour un problème de tuyauterie… Le second réacteur est stoppé depuis début avril pour subir sa troisième visite décennale. Malgré les manifs quasi continuelles des écolos de tous poils et l’hostilité des élus alsaciens, la vieille dame ne veut pas entendre parler de retraite. Au-delà de ses fréquents problèmes de santé, elle pèse 1 500 emplois directs… Néanmoins, le gouvernement pourrait la lâcher en janvier prochain après un nouvel avis de l’ASN dans le cadre de l’audit post-Fukushima.

Cattenom : EDF a d’ores et déjà programmé la prolongation au-delà des 40 ans de fonctionnement de cette unité de quatre réacteurs de 1 300 MW chacun. Le site ne manque pas d’opposants, notamment au Luxembourg voisin où plusieurs communes réclament son arrêt.

Bure : si le calendrier est respecté, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) devrait déposer en 2015 une demande de création du stockage souterrain pour un creusement des accès et galeries principales à partir de 2017. Baptisé Centre industriel de stockage géologique (Cigéo), celui-ci serait opérationnel en 2025 pour y accueillir à 500 m sous terre des colis de déchets à haute et moyenne activité à vie longue (HMA VL). Le lieu retenu occuperait une surface de 200 ha entre les villages de Bure, Mandre, Ribeaucourt et Bonnet. Réunis en collectif, les réfractaires au projet stigmatisent la prochaine étape, celle du débat public : « il portera sur le projet industriel Cigéo proprement dit, avec une proposition d’implantation et une description techniques précises.

La question d’enfouir ou non n’est plus d’actualité. La décision du stockage géologique est acquise sans qu’on nous demande notre avis », assène Burestop 55.

Reste le coût de ce stockage : une estimation de 35 milliards à la charge d’EDF a été avancée. Astronomique, la facture fait tousser l’électricien. À suivre… P.C.


Eclairage - Bernard Laponche, physicien « Bure ne se justifie pas »

Coauteur avec Benjamin Dessus d’un ouvrage récent et limpide sur la patate chaude nucléaire, Bernard Laponche est actuellement consultant international dans le domaine de l’énergie. Ce physicien de l’atome qui affirme qu’il est possible de sortir du nucléaire en vingt ans a sa petite idée sur Fessenheim, Cattenom et surtout Bure qui est selon lui une « très mauvaise solution. Bien que la condition de réversibilité existe, on voit bien que ce site répond uniquement à l’envie des promoteurs du nucléaire de faire disparaître les déchets. On enfouit et on rebouche. Si tous les pays qui utilisent cette énergie font pareil, on va avoir des trous partout qu’on laissera au temps… La moins mauvaise solution est de garder les combustibles irradiés en l’état, de les stocker à sec en subsurface et de les surveiller ».

Fessenheim hors d’âge

Pour ce spécialiste, Bure ne se justifie pas, quant à la centrale de Fessenheim, son cas est tranché en une phrase lapidaire : « cela fait des décennies que les Allemands ou les Suisses réclament l’arrêt de ses deux réacteurs hors d’âge, ce n’est pas pour rien ».

Reste Cattenom. « Elle n’est pas en zone sismique ou inondable, mais elle est implantée dans un bassin de vie de 900.000 habitants. D’où la question de la sûreté de cette population en cas d’attentat ou d’accident majeur. Pendant longtemps, les gens de IRSN ont affirmé que l’accident grave n’était pas prévu dans la conception des centrales françaises. Mais depuis Fukushima, ils disent au contraire qu’un tel danger est possible en France. Sans toutefois préciser comment on fait pour évacuer 900.000 habitants en cas de catastrophe… Cette seule éventualité doit conduire à l’arrêt du site ».

P.C.