2012 - SUISSE l Déchets nucléaires : les critiques qui dérangent
24 Heures
Felix Maise : Journaliste au Tages-Anzeiger
13 juillet 2012
Le géologue Marcos Buser a annoncé il y a deux semaines, sous les protestations, sa démission de la Commission fédérale de sécurité nucléaire (CSN) parce que sa critique, en tant qu’expert indépendant, concernant les plans de stockage définitif des déchets radioactifs de la Nagra (organisme chargé en Suisse de l’évacuation durable des déchets nucléaires) n’avait pas été entendue par les autorités fédérales (Sonntags-Zeitung du 24 juin).
Parallèlement, le Département de l’environnement et de l’énergie (DETEC), responsable de la recherche d’un site final, ainsi que l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) ont convoqué le professeur de géologie genevois Walter Wildi – président pendant de nombreuses années de la commission ayant précédé la CSN et père du concept suisse actuel de stockage final – pour lui faire part du fait qu’on n’appréciait pas du tout sa critique publique concernant les plans de la Nagra et de l’OFEN (Tages-Anzeiger du 30 juin). Et ce n’est pas tout : la scientifique Tanja Manser vient de démissionner de la Commission de sécurité nucléaire.
Tous trois ont cela en commun qu’ils appartiennent à l’espèce extrêmement rare des experts nucléaires indépendants qui ne sont à la solde ni de la Confédération, ni de la Nagra. Leur jugement devrait peser d’autant plus lourd. Pas à l’OFEN ni au DETEC de Doris Leuthard, où l’on essaie tout de même d’éclaircir entre-temps d’où peuvent bien provenir les conflits actuels. Ceux qui s’y connaissent en matière de politique énergétique ont déjà la réponse : en formulant leurs objections, les experts indépendants dérangent le déroulement minutieusement planifié par l’OFEN et la Nagra de ce qu’on appelle la procédure du plan sectoriel pour la sélection des sites.
Le problème pour la Confédération et la Nagra, c’est que les conflits en matière de contenu et de personnel n’auraient pas dû être rendus publics. Depuis ces déclarations, en effet, la confiance dans la Nagra et dans les autorités fédérales des six régions de sites de stockage final potentiels est quelque peu ébranlée. Nombre de membres des conférences régionales instituées par l’OFEN perçoivent les représentants de l’Office fédéral tels que les a critiqués l’expert démissionnaire de la CSN Marcos Buser : de braves agents d’exécution de la coopérative pour le stockage des déchets radioactifs des entreprises nucléaires suisses. L’OFEN manque tout bonnement de compétences pour parvenir à diriger à peu près convenablement la procédure du plan sectoriel, sujet on ne peut plus délicat sur le plan politique, regrette le géologue. Une critique largement partagée par le professeur Wildi.
La question centrale restait toutefois la même : comment amener une région à accepter la construction d’un site de stockage final de déchets radioactifs ?
La faute en est à la Confédération qui renonce d’elle-même à la compétence de spécialistes. Lors de la réorganisation de l’autorité de surveillance nucléaire, en 2009, elle a sensiblement affaibli sa commission d’experts indépendants, déjà réduite auparavant, sur les plans personnel et financier, après avoir failli la dissoudre complètement sous la pression du lobby nucléaire. A cette époque déjà, l’organe présidé par Walter Wildi était une épine dans le pied des gérants des centrales nucléaires suisses.
Suite aux récents conflits entre l’OFEN et les experts indépendants, la recherche d’un site adéquat pour le stockage final des déchets radioactifs risque une fois de plus d’échouer. Cela est en premier lieu imputable à une méconnaissance de la procédure du plan sectoriel.
Née autrefois de l’échec des plans de stockage final du Wellenberg dans le canton de Nidwald, cette procédure devait permettre une sélection transparente appuyée par les régions entrant en ligne de compte. C’est la Confédération, et plus précisément l’OFEN, qui devait en assumer la responsabilité. Il faut dire que la Nagra, au service de l’industrie nucléaire, avait bien malmené la confiance du public au Wellenberg par ses méthodes de communication et d’information peu diplomates et manquant de transparence.
Au moment de reprendre la recherche d’un site de stockage final approprié, la question centrale restait toutefois la même : comment amener une région à accepter la construction d’un site de stockage final de déchets radioactifs ? Les experts en communication ont jeté un œil par-dessus les frontières et élaboré un concept accordant une place centrale à la « participation régionale », mais dont la décision effective de la construction d’un site ne fait explicitement pas partie. Ce droit, que la population nidwaldienne avait encore, a été supprimé de la loi sur l’énergie nucléaire.
Entre-temps, six conférences régionales instituées par l’OFEN ont entamé la discussion sur les avantages et les inconvénients d’un site de stockage final. Une discussion malheureusement pas libre et ouverte quant au résultat, mais orientée comme l’entendent l’OFEN et la Nagra. Les questions critiques posées par les experts indépendants dérangent le déroulement des choses. Mais tenter de les faire taire est le meilleur moyen de faire à nouveau capoter la procédure dans son ensemble. Et ce, avant même que les questions centrales concernant la géologie et la sécurité aient pu être réglées. Les autorités fédérales et la Nagra n’ont tiré aucune leçon de la débâcle du Wellenberg.