La Criirad dénonce un arrêté qui permettrait d’inclure des rebus radioactifs dans des bâtiments.
LIBERATION
09/02/2010
Par ELIANE PATRIARCA
« C’est irresponsable, criminel. » Roland Desbordes, le président de la Commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité (Criirad), ne mâche pas ses mots.
Objet de son ire : un arrêté interministériel, paru au Journal officiel le 14 mai 2009 qui, selon la Criirad, ouvre une dérogation à l’interdiction, inscrite dans le code de santé publique depuis 2002, d’utiliser ou d’ajouter des substances radioactives dans les matériaux de construction et biens de consommation.
En bref, les industriels peuvent désormais écouler leurs déchets radioactifs en les mixant à d’autres matériaux et en faire des gravats ou du ciment. « La porte ouverte à l’éparpillement de la pollution radioactive », s’inquiète Desbordes, et un risque pour la santé publique : « Inclure des substances, même faiblement radioactives, dans la nature, c’est accroître le risque de cancers ».
L’enjeu est énorme. « Le code de la santé publique interdisait aux déchets de l’industrie nucléaire de sortir de la filière. L’arrêté change la donne. Aujourd’hui, seuls 10% des déchets, les plus radioactifs, sont enfouis en centres de stockage spécialisés et cela coûte cher à l’industriel. Le reste est entreposé, parfois en pleine nature, protégé par un simple grillage », poursuit le président de la Criirad. Il cite l’exemple d’une fonderie de la Loire qui envisageait d’utiliser des fûts ayant contenu des produits irradiés pour les mélanger avec d’autres ferrailles et fabriquer de la robinetterie. Le tribunal administratif a mis son veto. « On est aussi à l’aube du démantèlement des vieilles centrales nucléaires, note Roland Desbordes, soit des millions de tonnes de gravats dont les exploitants préféreront se débarrasser plutôt que de payer pour les stocker ! »
Au ministère de l’Environnement, on ne comprend pas cet emballement. Stéphane Noël, responsable de la mission sûreté nucléaire et radioprotection, explique que « le code de la santé publique prévoyait des dérogations que l’arrêté ne fait que préciser ». « Chaque demande d’industriel fera l’objet d’une instruction très approfondie, dit-il, et ne sera validée que si le projet ne présente aucun risque environnemental ou sanitaire. » La Criirad, qui a déposé un recours devant le Conseil d’Etat, souligne que l’Autorité de sûreté nucléaire a rendu en 2008 un avis défavorable à l’arrêté par crainte d’une banalisation des dérogations.