BURE, Meuse (Reuters)
En moins de 7 minutes, le gigantesque ascenseur plonge à 500 mètres sous terre : tout au fond, les galeries bétonnées semblent imiter les méandres d’une mine ultra-moderne mais elles forment en réalité un sanctuaire hors norme qui accueillera les déchets les plus nocifs de l’industrie nucléaire.

Dans le laboratoire de Bure (Meuse), ingénieurs et scientifiques testent aujourd’hui ce qui devrait devenir dès 2025 le plus grand site de stockage souterrain de déchets radioactifs au monde et qui fera de la France un pionnier du secteur aux côtés de la Finlande et de la Suède.

Car une équation inévitable s’impose au pays le plus nucléarisé de la planète : les réacteurs français, conçus pour produire de l’électricité pendant 40 ans, génèrent aussi des déchets radioactifs dits de "haute activité" (HA), dangereux pour les humains pendant plus de 100.000 ans.

Dans la région, la colère des opposants bute depuis vingt ans contre la nécessité pour la France de trouver une solution à la question sensible des déchets, casse-tête d’une industrie nucléaire de plus en plus critiquée notamment depuis la catastrophe de Fukushima au Japon.

"Les déchets existent et il faut les gérer", souligne Gérald Ouzounian, responsable de la division internationale de l’agence en charge de la gestion des déchets nucléaires, l’Andra.

Ces déchets sont pour l’instant entreposés dans les piscines de La Hague (Manche). A la surface, ils sont exposés aux catastrophes naturelles voire au risque terroriste.

L’Andra, qui a déjà dépensé un milliard d’euros dans ce projet, doit trouver une solution pour les stocker durablement en garantissant la sécurité des générations futures.

Après avoir étudié plusieurs pistes -envoi dans l’espace, stockage sous la calotte glacière-, l’agence s’oriente désormais vers les entrailles de la terre.

"Il faut faire le choix le plus probable. Cette roche n’a pas subi de modification depuis 140 millions d’années", souligne Sébastien Farin, directeur de la communication de l’Andra, en désignant l’argile grisâtre dans lequel sont creusées les galeries. "Par contre en surface, on sait que depuis 140 millions d’années il y a eu des changements."

QUELLE LANGUE EN L’AN 30.020 ?

Equipés comme des mineurs de fond, ingénieurs et scientifiques creusent et observent la roche depuis dix ans pour évaluer la sûreté du projet. Leur objectif : retarder au maximum le rejet inévitable des éléments radioactifs dans la nature.

"On ne pourra pas retenir la radioactivité pendant des millions d’années. Il faut la limiter", dit Sébastien Farin. "Dans 400.000 ans environ, les déchets de haute activité seront équivalents à la radioactivité naturelle. On travaille sur un temps incommensurable pour un être humain", ajoute-t-il.

Pour obtenir l’autorisation de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), la structure devra ainsi être conçue pour résister un million d’années -en comparaison, les pyramides d’Egypte soufflent à peine leurs 4.500 bougies.

Le tombeau sera refermé après une centaine d’années d’exploitation, et 10.000 m3 de déchets haute activité et 70.000 m3 de moyenne activité (MA-VL) seront confinés dans la roche.

Pour conserver la mémoire du site et avertir les générations futures du danger -à un mètre d’un déchet HA, cinq à dix minutes suffisent pour recevoir une dose létale de radioactivité-, les analystes de l’Andra étudient plusieurs pistes comme la construction d’une pyramide, d’un musée ou encore l’oubli.

Quelle langue, quels symboles, quelles technologies seront utilisés dans 10.000 ou 100.000 ans ? Faut-il envisager un réchauffement climatique ou l’avènement d’une ère glaciaire ?

"On ne sait pas ce que seront les civilisations d’ici quelques centaines ou quelques milliers d’années", explique Gérald Ouzounian, de l’Andra, soulignant qu’une protection active sur 10.000 ans ne peut être garantie aujourd’hui.

"On met les déchets à une profondeur suffisante dans un site où il n’y a aucune ressource susceptible d’être exploitée par l’homme, pour que, dans le cas où le site serait oublié, la sûreté soit assurée de manière passive", ajoute-t-il.

"UN CHAMP DE COLZA ET DE PLUTONIUM"

Dans le pays de Bure, où la densité de la population ne dépasse pas 7 habitants au km2, les opposants à la "poubelle nucléaire" ont vu leur mobilisation, très active dans les années 1990, s’étioler au fil des années.

La vétusté des maisons basses et des anciennes dépendances de fermes du village contrastent avec les installations flambant neuves du laboratoire qui s’élève sur la colline voisine.

"Les autorités ont décidé, moi je n’y peux rien", assène un vieil homme à vélo, qui dit avoir vendu ses terres à l’Andra pour 1,8 million d’euros. "De toute façon, Bure sera rayé de la carte quand ils auront fini leur cochonneries."

Quelques dizaines d’irréductibles se réunissent encore dans une vieille ferme retapée où s’empilent tracts et banderoles. Ils accusent les 60 millions d’euros de subventions annuelles de l’Etat de corrompre les esprits dans les deux départements -le laboratoire est à la frontière entre la Haute-Marne et la Meuse.

Les militants de "Bure Stop 55" s’inquiètent aussi de la valse des fûts radioactifs qui sillonneront par camion les routes de la région, entreposés avant d’être enterrés.

"Pendant 100 ans, on aura les pires déchets nucléaires chez nous, en surface. Les paysans vont faire leur colza et leur petit blé à côté du plutonium !", explique Corinne François, une graphiste engagée depuis 18 ans contre le projet.

DÉCISION AVANT 2017 ?

Les principales craintes sur la sécurité du site concernent avant tout la réaction de la roche modifiée par les galeries ou encore la possibilité d’accueillir du Mox -combustible recyclé contenant de l’uranium et du plutonium- usé, selon un rapport commandé par le comité local d’information de Bure et rédigé par un institut de recherche américain (l’IEER).

Mais selon ce rapport, l’agenda, jugé beaucoup trop serré pour répondre aux interrogations laissées en suspens, est la première des critiques qui puisse être adressée à l’Andra.

"Le calendrier est tellement serré qu’il n’est pas réaliste", estime le président de l’IEER Arjun Makhijani, soulignant que les Etats-Unis, qui ont voté un moratoire sur le stockage géologique en 2010, sont tombés dans cet écueil.

"Nous avons dépensé dix fois plus d’argent que la France et nous n’avons aucun résultat (...) Dans cette affaire, la leçon la plus importante à tirer des Etats-Unis, c’est qu’à trop se presser on peut se retrouver encore moins bien lotis que si on n’avait rien fait."

Après une consultation publique en 2013 et la signature d’un décret d’autorisation en 2017, la France souhaite lancer les travaux dès 2018 pour un montant total estimé à quelque 35 milliards d’euros.

Après 20 ans de recherches, Bure et Onkalo, son équivalent finlandais, doivent recevoir leur premiers colis avec seulement quelques années d’écart -respectivement 2025 et 2022. La Suède prévoit également d’ouvrir un site en 2025.

Maîtriser, exploiter et pouvoir vendre cette technologie inédite représentera une manne commerciale certaine pour ces pays pionniers : près de 440 réacteurs sont en activité dans le monde, 60 autres environ sont en construction.

Ils ont déjà généré au total quelque 345.000 tonnes de déchets nucléaires, soit 50% de plus qu’il y a dix ans, selon l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).

Edité par Yves Clarisse