2013 - En Lorraine, les résistants au "cimetière" radioactif appellent au boycottage du débat public
LE MONDE | 23.05.2013
Par Pierre Le Hir
Bure (Meuse), envoyé spécial. C’est une grande bâtisse plantée entre la mairie et l’église. Un ancien corps de ferme, racheté et retapé par un collectif, avec potager, éolienne et panneaux solaires, où se retrouvent antinucléaires français, allemands ou suisses. L’été, le dortoir et les tentes dressées dans le jardin ne désemplissent pas. Le reste de l’année, ils sont une poignée de résidents, qui tiennent un blog, éditent un bulletin trimestriel, sont de toutes les luttes.
La Maison de Bure, autoproclamée "Bure zone libre", est devenue, au coeur du village meusien – 93 habitants au dernier recensement –, l’un des foyers de la résistance au futur centre industriel de stockage géologique (Cigeo) des rebuts de l’industrie nucléaire. Une contestation qui devrait s’exprimer haut et fort lors de la première réunion du débat public organisée, jeudi 23 mai au soir, dans la salle des fêtes communale.
Au milieu des champs ceinturant le village, entre forêts et vaches laitières, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) a creusé depuis une quinzaine d’années, à 500 mètres de profondeur, un laboratoire de recherche. C’est dans cette formation argileuse, aux confins de la Meuse et de la Haute-Marne, qu’elle prévoit aujourd’hui d’aménager un immense cimetière souterrain de 15 km2 de galeries pour les résidus les plus radioactifs : 80 000 m3 de colis vitrifiés et bétonnés, dont la dangerosité perdurera des milliers, pour certains des millions d’années. "Une poubelle nucléaire", disent les habitants de la Maison de Bure.
"PAS QUESTION DE PARTICIPER À UN DÉBAT TRUQUÉ"
Arrivé de Bretagne il y a quatre ans, Maxime, 31 ans, tailleur de pierres qui travaille à la restauration de monuments historiques à Paris, en est l’un des piliers. "Les nucléocrates veulent nous faire croire qu’enfouir les déchets radioactifs, c’est protéger les générations futures. Quel cynisme ! En réalité, il s’agit de les cacher, car ces déchets, dont personne ne sait quoi faire, sont le principal obstacle à la poursuite du nucléaire", pense-t-il.
Cédric, 28 ans, venu participer à la restauration de la maison, et Benoît, 21 ans, étudiant en géographie et en sciences sociales, en sont eux aussi convaincus : "Si le Cigeo se fait, la région est condamnée." Déjà, décrivent-ils, l’Andra rachète terres et forêts, comme "monnaie d’échange" avec les propriétaires qu’il faudra exproprier. Résultat, "le prix du foncier explose et les jeunes agriculteurs ne peuvent plus s’installer".
Pour les animateurs de Bure zone libre, la cause est entendue : "Pas question de participer à un débat truqué qui ne vise qu’à légitimer un projet imposé au mépris de la vie des gens."
MULTIPLICATION DES RECOURS
Comme eux, plus d’une quarantaine d’associations, locales ou nationales, appellent au "boycott actif". C’est le cas de BureStop, basée à Bar-le-Duc (Meuse), qui annonce entre 400 et 500 adhérents. "Le lobby nucléaire nous raconte une belle fable, dénonce l’une de ses porte-parole, Corinne François, graphiste de profession. L’argile serait un coffre-fort géologique parfaitement sûr. Mais qui peut assurer que, sur des centaines de milliers d’années, il n’y aura pas de mouvement de terrain, d’infiltrations d’eau ou d’écroulement de galerie qui feront remonter la radioactivité à la surface ? C’est simplement insensé. Rien de ce que fait l’homme n’est infaillible."
Depuis bientôt vingt ans qu’elle existe, l’association a multiplié les recours, toujours en vain. Il y a quelques années, 45 000 électeurs de la Meuse et la Haute-Marne avaient réclamé un référendum. En vain également. Avec ses fonds d’accompagnement – 30 millions d’euros par an pour chacun des deux départements, qui financent voiries, écoles, gymnases ou maisons de retraite –, "l’Andra a acheté les consciences des élus", accuse Corinne François. "En fait de développement économique, c’est une désertification qui se prépare, redoute-t-elle. Qui voudra faire pousser du blé ou acheter une maison sur une décharge atomique ?"
Certains élus, pourtant, commencent à prendre leurs distances. "Nous avons dit oui au laboratoire, pas encore à l’enfouissement, rappelle Christian Namy, président du conseil général de la Meuse et sénateur (UDI). Nous attendons un réel accompagnement économique de nos territoires, avec des emplois pérennes et des activités porteuses d’une image positive. Nous voulons l’intelligence du nucléaire, pas seulement ses matières résiduelles."
"TOUT N’EST PAS TRANCHÉ"
Le Collectif contre l’enfouissement des déchets radioactifs (Cedra), pendant haut-marnais de BureStop – 400 à 500 adhérents lui aussi –, est l’une des rares associations, avec Greenpeace, à ne pas choisir le boycott. "Nous ne laisserons pas le terrain libre aux enfouisseurs, explique son porte-parole, Michel Marie, un ancien ambulancier. Nous serons présents pour que démocratie, éthique et bon sens retrouvent enfin leurs droits. Notre adversaire, c’est le fatalisme."
Difficile de savoir comment tournera le débat public. Et même s’il pourra se tenir. "Le débat est un droit des citoyens, qui doivent pouvoir s’informer et participer à la prise de décision", plaide Claude Bernet, président de la commission du débat public. "C’est une étape dans un long processus, ajoute la directrice de l’Andra, Marie-Claude Dupuis. Nous allons informer, expliquer, mais aussi écouter. Le projet n’est pas encore finalisé. Tout n’est pas tranché."
Restera encore, en 2018, une enquête publique préalable à l’autorisation de création du Cigeo. Son ouverture est programmée en 2025... pour des millénaires de stockage radioactif.