REPUBLICAIN LORRAIN/19/09/2013
Face à l’impossibilité de tenir les réunions publiques, le débat sur le centre de stockage des déchets nucléaires de Bure se joue désormais sur internet. Les opposants au projet dénoncent un débat virtuel qui tombe dans l’oubli.

Si vous souhaitez que les déchets nucléaires français les plus dangereux soient enfouis à Bure, tapez 1. Si vous préférez que le projet ne se fasse pas, tapez 2. Pas de panique, c’est une caricature. Mais elle est significative de la tournure prise par le débat public autour de Cigéo, ce futur centre d’enfouissement des déchets nucléaires prévu pour 2025 en Meuse. Face à l’impossibilité de tenir les réunions publiques, sous la pression des opposants, la commission particulière a déplacé le débat… sur la toile. Une série de neuf débats contradictoires y a été lancée. Le troisième, lundi à 19h ( www.debatpublic-cigeo.org), aura pour thème « La comparaison des expériences internationales (Suède, Finlande, Etats-Unis, Canada) ». Les questions peuvent être envoyées en direct par mail ou SMS (envoyer DEBAT au 32321 suivi de la question).

Victoire médiatique
La démarche fait sourire dans les rangs des opposants : « Le débat est devenu virtuel », dénonce Corinne François de BureStop 55. « Notre blocage avait un sens, celui de faire savoir que le débat tel qu’il était conçu n’était pas adapté. La suite nous le montre bien. On continue coûte que coûte, pour satisfaire à des normes. Cela vire à la campagne d’information confidentielle. Les questions de fond ne sont pas abordées », poursuit l’opposante.
« Ce n’est plus un débat. Comment voulez-vous pousser un interlocuteur dans ses retranchements par internet ? Il est impossible d’aller au fond des choses », estime Michel Marie, du Cedra (collectif contre l’enfouissement des déchets radioactifs).
De quoi nourrir des regrets ? Pas vraiment : « Cela reste une victoire compte tenu du retentissement médiatique de nos actions. C’est la première fois qu’on parle autant de Cigéo. Cela nous a permis d’envoyer un message aux parlementaires qui voteront en 2015 », espère Corinne François.

Tentatives avortées
Pour Jean-Marc Fleury, président de l’association des élus de Haute-Marne et de Meuse opposés au projet, l’oubli dans lequel sombre le débat ne doit rien au hasard : « Nos actions ont eu un tel retentissement que les pouvoirs publics ont souhaité qu’on n’en parle plus. Pour nous, le débat est terminé. Notre tribune s’est évaporée mais elle nous a permis d’alerter l’opinion. »

Pourtant, les organisateurs ne ménagent pas leur peine et explorent plusieurs pistes pour sauver le soldat « Débat public », prolongé jusqu’au 15 décembre. La tentative d’organisation de microréunions a viré au risible. Aucune publicité n’ayant été faite, la première, à Rachecourt-sur-Marne, n’a mobilisé aucun participant. La tenue de la seconde, à Bonnet, est arrivée aux oreilles des opposants. Résultat : ni les participants, ni même le président de la Commission particulière Claude Bernet n’ont pu rentrer. Enfin, une conférence citoyenne, composée d’un panel représentatif de volontaires recrutés par un cabinet spécialisé, devrait bientôt être constituée. Pas de quoi trouver grâce auprès des opposants qui réfléchissent à de nouvelles actions. Histoire de retrouver un peu la lumière…

Claude Bernet : « Internet peut constituer une solution »
Les opposants estiment que le débat public sombre dans l’oubli. Qu’en pensez-vous ?

Claude BERNET, président de la Commission particulière du débat public Cigéo : « Non. Internet n’est pas le royaume de l’oubli. Pour le premier débat contradictoire en ligne, nous avons eu mille connexions. Nous avons par ailleurs collecté 350 questions et 250 avis. Trente-six cahiers d’acteurs ont été publiés. Et nous annoncerons bientôt la création d’une conférence citoyenne. Les courriers sont aussi possibles. Nous avons d’ailleurs distribué 180 000 enveloppes affranchies pour permettre aux gens de nous envoyer leurs questions. »

Les conditions actuelles dans lesquelles ce débat est mené vous satisfont-elles ?

« Oui, dans la mesure où nous répondons à l’objectif majeur de ce débat, à savoir l’accès du public à l’information et à la participation afin de recueillir les opinions dans leur diversité. Même si je serais encore plus heureux si l’on pouvait tenir des réunions publiques. La loi de 2002 qui organise le débat public n’impose pas les moyens spécifiques par lesquels il doit vivre. La seule condition est qu’il soit ouvert de manière équitable à tous. Certes, tout le monde n’est pas branché sur internet mais le taux d’équipement est de 70 % en Meuse. »

Cela vous suffira-t-il à établir les conclusions dans des conditions acceptables ?

« Quand viendra le temps, à partir du 15 décembre, d’élaborer un compte rendu, nous aurons largement matière même s’il manquera une dimension à ce débat avec l’absence de réunions publiques. On voit déjà se dessiner les tendances, les interrogations, les prises de position très fermes d’un côté comme de l’autre. »

On a l’impression que tout est fait pour sauver « l’institution débat public ». Est-ce aussi un enjeu ?

« Ce n’est pas le premier débat à rencontrer des difficultés. Sur les soixante déjà tenus en France, quatre ou cinq ont été houleux et deux très difficiles, en 2009 sur les nanotechnologies et aujourd’hui sur Cigéo. Il faut s’interroger sur comment tenir un débat dans ces conditions. Internet peut constituer une solution. »

Pensez-vous avoir commis des erreurs ?

« J’en reconnais une, avoir voulu tenir la première réunion à Bure, alors que la salle ne s’y prêtait pas. Après, que faire face à des gens qui ne veulent pas que les réunions se tiennent, même quand ce sont des opposants qui sont à la tribune ? Je n’ai pas la réponse. »

Propos recueillis par Philippe Marque


EST REPUBLICAIN/19/09/2013
Enterrer les déchets et les oublier ?
Le deuxième débat contradictoire concernant le centre d’enfouissement de Bure s’est déroulé hier, retransmis en direct sur le site de la Commission nationale du débat public (CNDP).

Plusieurs experts étaient présents pour des débats assez houleux, avec en toile de fond, la question de savoir s’il faut entreposer en surface, enfouir ou traiter chimiquement les déchets radioactifs. Dès le départ, la discussion s’est animée, avec la prise de parole de Bernard Laponche, ingénieur et expert, membre de Global chance, une associatin de scientifiques. Il a critiqué la forme et le fond du débat : « Il faut une phase d’informations contradictoires et pluralistes, pas simplement un débat public sur internet. Il faut aussi se questionner sur le programme nucléaire, pas se limiter seulement aux déchets ». « La commission n’a pas d’autres vœux que de faire des réunions publiques classiques. Ce qui n’est pas possible pour l’instant à cause d’un certain nombre d’opposants. Mais tout reste possible », a rétorqué Claude Bernet, président de la CPDP (Commission particulière du débat public).

L’une des questions du débat concernait l’oubli que peut induire l’enfouissement ou non des déchets.

Pour Jean-Marie Brom, expert indépendant, « enterrer c’est oublier. On sait que la mémoire collective s’éteint rapidement. Nous n’avons pas oublié les pyramides d’Égypte, car elles sont visibles ». « Le stockage des déchets en surface n’est pas une garantie », a indiqué Fabrice Boissier, directeur de la maîtrise des risques de l’Andra : « d’anciens sites d’usines pollués ont plusieurs dizaines d’années. Et on y construit des logements ». Pour lui, Cigéo apporte une sécurité en cas d’oubli. « Même si tout est fait pour transmettre les meilleures archives possibles aux futures générations ».
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EST REPUBLICAIN/15/09/2013

Trois voies mais un seul choix
Après le débat contradictoire diffusé sur internet en juillet, la Commission nationale du débat public via la commission particulière en charge du débat sur Cigéo propose cette semaine un nouveau rendez-vous sur le projet industriel envisagé à Bure-Saudron. Claude Bernet et son équipe proposent mercredi 18 septembre (19 h sur debatpublic-cigeo.org) un débat contradictoire sur les solutions de gestion.

Les discussions ne manqueront pas d’être animées, tant le sujet suscite deux visions radicalement opposées de la gestion des déchets radioactifs. L’une consistant à vouloir garder à portée de main les matières pour des questions de sûreté et de sécurité en attendant que le progrès permette de traiter ces matières. L’autre inscrite dans la loi de 2006 préconisant l’isolement de la radioactivité grâce à l’enfouissement, donc Cigéo. Mercredi soir, l’Andra, par la voix de Fabrice Boissier, son directeur des risques, et le CEA, représenté par Bernard Boulis, son directeur du programme technologies du cycle de combustibles et gestion des déchets, feront face à deux opposants : le polytechnicien et physicien Bernard Laponche, de l’association Global Chance, et Jean-Marie Brom, physicien nucléaire et chercheur. Ils défendront les pistes alternatives à Cigéo : l’entreposage dans des structures en surface qui existent d’ailleurs déjà, et la transmutation ou séparation des radionucléides pour en réduire la nocivité et la durée de vie.

Selon les travaux de l’Andra et du CEA validés par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), l’enfouissement est la meilleure solution car les autres pistes n’écarteraient pas les risques de contamination de manière pérenne. Jugeant que le projet n’est pas encore abouti techniquement et qu’il n’offre pas assez de garantie à très long terme, les opposants estiment qu’il est urgent d’attendre et que l’Humanité n’a pas le droit de négliger les autres possibilités en abandonnant dans le sous-sol des matières aussi dangereuses. Ils militent pour garder la possibilité d’intervenir à tout moment sur les déchets, en cas de fuite et de progrès technique (transmutation) qui peut intervenir dans 50 ou 100 ans. Aux yeux de l’Andra et du CEA, l’entreposage a une durée de vie limitée (300 ans), imposant la reconstruction régulière des ouvrages. Pour eux, seul l’enfouissement offrirait une solution définitive de protection de l’Homme. Leurs adversaires estiment pour leur part que cette solution, en plus des risques générés et non maîtrisables, n’a en fait rien de définitif.

Sébastien GEORGES