Votre journal signalait vendredi que j’avais été amené à quitter le débat dit « contradictoire » (1) du 13 novembre dernier, sur l’économie et le financement du projet Cigéo de stockage des déchets nucléaires, pour dénoncer le vide du dossier sur lequel on nous proposait de débattre. Le président de la Commission particulière du débat public sur le projet (CPDP), à qui j’avais proposé en séance un report de ce débat pour donner à l’Andra le temps d’élaborer un dossier digne de ce nom, a préféré poursuivre ce débat quelque peu surréaliste puisque seuls les défenseurs du projet restaient en lice.

L’enregistrement de cette séance, maintenant disponible sur le site de la CPDP Cigéo, montre malheureusement que le vide du dossier est encore plus profond que je ne l’imaginais.

Aux questions soulevées par les internautes sur l’écart considérable constaté entre l’évaluation du coût de l’opération réalisée en 2005 (14,5 milliards d’euros) et celle de 2009 (2) (36 milliards), pas de réponse.

A une très timide question du président de la CPDP sur « l’ordre de grandeur » du coût des travaux d’investissement, une réponse pour le moins désinvolte : « quelques milliards d’euros ». On apprendra toutefois au cours de cette aimable conversation de salon qu’il n’est pas possible de donner avant plusieurs mois le moindre aperçu du coût de cette opération ni du calendrier des dépenses. La raison principale, nous dit sans rire le représentant de l’Andra, en serait le souci de prendre pleinement en compte les remarques recueillies pendant le débat public, débat dont chacun sait qu’il ne peut se tenir… On apprendra enfin, dès le lendemain du débat, que le projet de loi de Finances rectificative (PLFR 2013), qui va être présenté au Parlement, comporte une contribution spéciale des producteurs de déchets radioactifs de 1 à 3 millions d’euros par installation nucléaire et par an jusqu’en 2021 (de l’ordre de 1 milliard d’euros au total) destinée à financer les études nécessaires à la conception du projet Cigéo, au profit de l’Andra.

Et si, finalement, c’était vrai que les concepteurs ne savaient pas, à un facteur deux ou trois près, voire bien plus, combien va coûter ce projet ? Ou bien qu’ils savaient déjà que les 36 milliards évoqués par la Cour des comptes seraient amplement dépassés ?

Qu’à cela ne tienne, le ministère chargé de l’Energie et EDF sont là pour nous rassurer : ce sont bien les producteurs de déchets (EDF, le CEA, Areva) qui vont prendre le financement en charge. Les provisions déjà constituées ou en cours de constitution, placées judicieusement par nos entreprises au taux de 4,8 %/an (un taux à faire pâlir d’envie un père de famille) et pendant 120 ans (une belle pérennité pour une entreprise) couvriront sans aucun problème ces dépenses, dont on ne connaît ni le montant global ni le calendrier… Mais seront-ils seulement en mesure d’assurer au moins l’investissement initial, vu le niveau actuel des provisions ?

Il n’est pas possible de laisser plus longtemps le débat public dériver ainsi. Pour ceux d’entre nous qui considèrent les débats publics comme une avancée démocratique importante et qui avaient, à défaut d’un vrai débat, accepté, faute de mieux, de participer à l’information des citoyens sous la forme proposée par la CPDP, il est plus que temps de redresser la barre.

Benjamin Dessus


Benjamin Dessus est ingénieur et économiste (Global Chance)(1) Qui réunissait sur le site Internet de la Commission particulière du débat public sur le projet Cigéo le président de cette commission, les principaux partenaires du projet, l’Andra, le maître d’ouvrage, le ministère en charge de l’Energie, EDF et un expert indépendant, moi-même.(2) Voir Cour des comptes 2012, « Les coûts de la filière nucléaire », page 150.