Telle est, en substance, la décision de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), maître d’ouvrage du projet de Centre industriel de stockage géologique (Cigéo). La demande d’autorisation de création de ce « cimetière nucléaire », initialement prévue en 2015, ne sera finalisée qu’en 2017. Et son exploitation, à partir de 2025, commencera par une « phase industrielle pilote » de cinq à dix ans. Une façon de donner du temps au temps, donc, mais sans dévier de cap, en dépit de l’opposition persistante des riverains et des anti-nucléaires qui dénoncent « un nouvel enfumage ».

Le cimetière des déchets nucléaires sera testé en 2025

Le projet Cigéo vise à enterrer dans le sous-sol de la commune de Bure, entre la Meuse et la Haute-Marne, les 80 000 m3 de résidus à haute activité et à vie longue générés par le parc nucléaire français. Ces produits, issus du retraitement des combustibles usés, ne représentent que 3 % du volume total des déchets nucléaires, mais ils concentrent plus de 99 % de leur radioactivité et ils ne deviendront inoffensifs qu’au bout de centaines de milliers, voire, pour certains, de millions d’années. Un réseau de 15 km2 de galeries doit être creusé dans une couche d’argilite, à 500 mètres de profondeur, pour abriter quelque 240 000 colis radioactifs.

« CALENDRIER TROP TENDU »

Le planning initial, fixé par une loi de 2006, prévoyait que l’Andra présente au gouvernement, en 2015, une demande d’autorisation de création du Cigéo, soumise à enquête publique, pour une mise en service en 2025. Mais, à la suite de la consultation de la population organisée de mi-mai à mi-décembre 2013 – une concertation qui s’est résumée, pour l’essentiel, à des « débats contradictoires » sur Internet –, la Commission nationale du débat public (CNDP) a considéré que « le calendrier est beaucoup trop tendu » et que « des preuves supplémentaires doivent être apportées sur la sécurité du projet ».

Cette demande rejoignait l’avis d’une conférence de citoyens, un panel de dix-sept personnes ayant reçu une formation accélérée et contradictoire sur le dossier. Ces « candides » ont jugé, eux aussi, que le calendrier prévu n’était « pas réaliste sans une phase d’expérience grandeur nature ».

L’Andra, ont annoncé mardi 6 mai son président, François-Michel Gonnot, et sa directrice générale, Marie-Claude Dupuis, a donc décidé de « poursuivre le projet Cigéo ». Mais, pour tenir compte des inquiétudes et de la « demande de progressivité » exprimés par le public, l’exploitation démarrera - toujours en 2025 - par « une phase de tests grandeur nature ». Ceux-ci seront menés successivement avec des colis factices (non radioactifs), puis avec un petit nombre de vrais colis, enfin avec des déchets à haute activité et à vie longue. Ce n’est qu’à l’issue de cette première phase que débutera « l’exploitation courante », prévue pour une durée de cent ans.

Il y faudra toutefois, au préalable, le feu vert du gouvernement. L’Andra prévoit désormais une demande d’autorisation en deux temps, d’abord en 2015, pour un « plan directeur », puis en 2017, pour le dossier complet. Elle table sur un décret d’autorisation « à l’horizon 2020 ». Dans cette perspective, elle s’engage « à élargir l’information et à favoriser les échanges et la concertation avec les experts et le public ».

QUAND SÉGOLÈNE ROYAL PRÔNAIT « L’ABANDON DU PROJET »

Il y faudra, aussi et surtout, l’accord de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), nécessaire pour toute nouvelle installation nucléaire de base. Cet accord n’est aujourd’hui pas acquis. « L’ASN ne pourra prendre position sur un projet particulier qu’après que la démonstration de sa sûreté aura été apportée », a souligné son président, Pierre-Franck Chevet, auditionné par des parlementaires le 16 avril. De même, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) estime qu’« il reste encore beaucoup de démonstrations de sûreté à faire ». En rééchelonnant son calendrier, l’Andra se donne en fait le temps de peaufiner son dossier technique.

Reste à savoir quel impact la future loi sur la transition énergétique, qui pourrait modifier la place faite à l’atome dans le futur mix électrique français – et de ce fait augmenter le volume des déchets nucléaires ultimes à gérer – aura sur ce projet. La nouvelle ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, Ségolène Royal, s’était déclarée en 2011, lors de la primaire socialiste à l’élection présidentielle, pour « l’abandon des projets de stockage en grande profondeur, en particulier sur le site de Bure ». Interrogée par Greenpeace, elle affirmait : « Nous réorienterons la recherche vers des solutions d’élimination et de retraitement ». Et de rappeler qu’elle avait « participé à la mobilisation et aux nombreuses manifestations contre les projets d’enfouissement dans les sols granitiques des Deux-Sèvres ».

Il faudra aussi compter avec la mobilisation des associations locales et nationales qui, depuis des années, se battent contre la transformation du site de Bure en « décharge atomique ». La coordination Bure-Stop estime, dans un communiqué, que « l’Andra fait semblant de ralentir le calendrier tout en ne changeant strictement rien au projet final : l’enfouissement à partir de 2025 ». Et de réitérer, à l’intention du Parlement qui, in fine, aura à trancher sur le Cigéo : « Le message citoyen est clair : non à l’enfouissement imposé. »
Pierre Le HIR