Bure : la Cour des comptes s’inquiète du coût du projet de stockage des déchets nucléaires
Par Pierre Le Hir et Nabil Wakim

La juridiction financière recommande un chiffrage « plus réaliste » de ce chantier « hors norme ».

Combien coûtera le projet de Centre industriel de stockage géologique (Cigéo), destiné à confiner les déchets nucléaires français les plus dangereux dans le sous-sol de la commune de Bure (Meuse) ? Alors que différentes estimations circulent depuis plusieurs années pour cette installation censée entrer en service entre 2025 et 2030, les magistrats de la Cour des comptes ont souhaité faire la lumière sur cet épineux problème, dans un rapport sur « l’aval du cycle du combustible nucléaire » rendu public jeudi 4 juillet.

En 2016, la ministre de l’environnement, Ségolène Royal, avait fixé par arrêté le coût total à 25 milliards d’euros. Une façon de couper la poire en deux, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), chargée de ce projet, l’ayant chiffré à 34,5 milliards d’euros, tandis que les producteurs de déchets – EDF, Orano (ex-Areva) et le CEA – l’évaluaient à 19,2 milliards d’euros. La Cour des comptes appelle à une plus grande vigilance sur l’estimation de ce chantier « hors norme ». Elle recommande notamment de « mettre à jour les coûts du scénario de référence de Cigéo en prenant en compte de manière plus réaliste les risques et opportunités du projet ». Autrement dit, elle invite à une opération de transparence sur les coûts réels du stockage de Bure sur le long terme.

Un seul scénario pris en compte

Celui-ci est prévu pour accueillir 85 000 m3 de déchets à haute activité et à vie longue (plusieurs centaines de milliers d’années), qui seront enfouis à 500 mètres de profondeur, dans une couche argileuse. Ces volumes sont ceux calculés dans le cadre d’un scénario de référence, qui prévoit un fonctionnement des réacteurs nucléaires français pendant une durée moyenne de cinquante ans, avec une poursuite du retraitement permettant de recycler une partie du combustible usé. Mais ils ne prennent pas en compte d’autres scénarios, comme l’arrêt du retraitement qui ferait croître les quantités de déchets à stocker. Ils ne prennent pas non plus en compte les déchets qui seraient produits par un futur parc nucléaire.

Dans son rapport, la cour doute que les éléments sur lesquels s’appuie actuellement l’Andra soient suffisamment robustes pour établir les coûts de façon fiable, sur une durée aussi longue que celle du projet, Cigéo devant être exploité pendant au moins cent vingt ans. « Bien que des incertitudes soient inévitables s’agissant d’un chiffrage projeté sur un siècle et demi, il est souhaitable que la prochaine mise à jour du chiffrage du scénario de référence de Cigéo soit fondée sur une méthode plus réaliste que celle adoptée pour le chiffrage arrêté en 2016 », notent les magistrats.

Ils soulignent notamment qu’un certain nombre d’hypothèses sur les travaux à réaliser sont en décalage avec celles d’autres chantiers de taille, comme le tunnel sous la Manche ou le Grand Paris Express. Pour certaines parties du projet, comme les équipements mécaniques et les bâtiments de surface, aucune part d’aléa n’a été prévue, ce qui semble étonnant compte tenu de l’ampleur du chantier.

La cour demande également aux promoteurs du projet de prendre en compte différents scénarios, qui reviendraient à devoir stocker plus de déchets que prévu et feraient ainsi gonfler significativement le coût. Une demande déjà rejetée par EDF et le ministère de l’économie et des finances, qui refusent d’envisager un redimensionnement du projet.

Le rapport souligne justement que tout renchérissement du coût du projet aurait des conséquences financières importantes pour EDF et Orano. Il précise que selon l’Agence des participations de l’Etat, « une augmentation de 1 milliard d’euros du devis de Cigéo aurait un impact d’environ 300 millions d’euros sur les provisions et les actifs dédiés d’EDF et d’environ 25 millions d’euros pour Orano ». Un défi majeur pour EDF, dont l’équation financière est déjà complexe.

Oppositions et retards

La Cour des comptes prend également note des différentes oppositions au projet Cigéo et observe qu’elles peuvent entraîner un retard certain – estimé de deux à quatre ans par l’Andra sur le calendrier initial – et donc renchérir les coûts. On apprend du reste dans une note de bas de page qu’« afin de maîtriser ce risque » l’Andra dépense 1,2 million d’euros par an, « dont 500 000 euros pour le seul espace pédagogique du centre ».

Hors Cigéo, la juridiction financière souligne par ailleurs que « les coûts d’exploitation et d’investissement sur les sites d’entreposage et de stockage [de déchets radioactifs] vont croître au cours des prochaines décennies ». Le rapport précise : « Entre les montants actuels et ceux projetés en 2050, les coûts d’exploitation croîtraient de plus de 90 %. Les investissements cumulés sur les principaux sites de stockage et d’entreposage, qui ont représenté 255 millions d’euros entre 2014 et 2017, pourraient s’élever à près de 1,4 milliard d’euros entre 2018 et 2030, et augmenter d’un milliard et demi d’euros supplémentaire entre 2030 et 2050. »

Globalement, la Cour des comptes appelle donc à la vigilance sur « des dépenses futures dont le financement doit être mieux contrôlé ». Nul doute que son rapport viendra nourrir le débat public en cours sur le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs, dont la clôture est prévue fin septembre.


"La Cour des comptes prend également note des différentes oppositions au projet Cigéo et observe qu’elles peuvent entraîner un retard certain – estimé de deux à quatre ans par l’Andra sur le calendrier initial – et donc renchérir les coûts. On apprend du reste dans une note de bas de page qu’« afin de maîtriser ce risque » l’Andra dépense 1,2 million d’euros par an, « dont 500 000 euros pour le seul espace pédagogique du centre ».


REUTERS - PARIS, 4 juillet 2019

Les arbitrages de la France en matière de gestion des combustibles usés et des déchets nucléaires nécessitent une plus grande transparence, estime la Cour des comptes dans un rapport publié jeudi.

La Cour recommande en particulier de mettre à jour les coûts du projet d’enfouissement de déchets Cigéo "en prenant en compte de manière plus réaliste (ses) risques et opportunités" et d’actualiser l’inventaire national des matières et déchets radioactifs en rapprochant les capacités d’entreposage et de stockage des quantités actuelles et prospectives de matières concernées.

Alors que des investissements importants doivent être réalisés au cours de la prochaine décennie, la juridiction rappelle qu’aucune discussion n’a eu lieu sur les alternatives possibles à ces investissements lors du débat public de 2018 sur la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et que les choix proposés dans le projet de PPE publié en janvier "reposent sur des arbitrages qui n’ont pas été expliqués au grand public".

"Une plus grande transparence (...) permettrait d’apprécier pleinement la place qu’occupent les questions liées à l’aval du cycle du combustible parmi les déterminants des choix d’évolution des infrastructures nucléaires", juge globalement la Cour dans son rapport.

Elle souligne aussi que le choix de fabriquer du combustible recyclé MOX à partir de matières déjà utilisées dans les centrales suppose qu’un nombre suffisant de réacteurs aient recours à celui-ci, faute de quoi le stock français de plutonium s’accroîtrait.

La prise en compte de cet équilibre "est d’autant plus importante que l’objectif de réduction à 50% de la part du nucléaire dans la production électrique, dans un contexte de vieillissement du parc nucléaire existant, va engendrer des évolutions significatives des flux du cycle du combustible nucléaire".

LE DEVIS DE CIGÉO "A VOCATION À ÉVOLUER"

Concernant le projet Cigéo de Bure (Meuse), dont le coût a été fixé en 2016 à 25 milliards d’euros par arrêté ministériel, la Cour souligne que cette estimation "a vocation à évoluer" et qu’une augmentation du devis à hauteur d’un milliard aurait un impact d’environ 300 millions sur les provisions et actifs dédiés comptabilisés par EDF.

Le coût du seul stockage éventuel des MOX et de l’uranium de retraitement après enrichissement (URE) usés dans Cigéo est par exemple évalué à plus de cinq milliards d’euros.

Les investissements cumulés sur les principaux sites de stockage (hors Cigéo) et d’entreposage, qui ont représenté 255 millions d’euros entre 2014 et 2017, pourraient s’élever à près de 1,4 milliard entre 2018 et 2030 et augmenter encore de 1,5 milliard supplémentaire entre 2030 et 2050, indique également la Cour.

Alors que le total des charges brutes futures de gestion des matières et déchets radioactifs ainsi que des combustibles usés s’élevait à 69 milliards d’euros à fin 2017, tous exploitants confondus, elle juge en outre que "les contrôles de l’autorité publique sont à approfondir afin de mieux expertiser les données produites par les exploitants et les décisions qu’ils prennent sur leur fondement".

La juridiction recommande aussi de "refléter la perspective industrielle réelle de valorisation des matières radioactives dans la constitution des provisions et actifs dédiés".
La publication de son rapport intervient alors que le futur plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR), portant sur la période 2019-2021, fait l’objet d’un débat public organisé depuis mi-avril jusqu’à fin septembre.

Benjamin Mallet, édité par Benoît Van Overstraeten)

https://www.zonebourse.com/ELECTRICITE-DE-FRANCE-4998/actualite/Electricite-de-France-Dechets-nucleaires-La-Cour-des-comptes-veut-plus-de-transparence-28852010/
https://www.challenges.fr/top-news/dechets-nucleaires-la-cour-des-comptes-veut-plus-de-transparence_662235