2022 - État des lieux des projets d’enfouissement des déchets radioactifs
Bernard Laponche
GLOBAL CHANCE
31/10/2022
L’objet de cette étude est de présenter quelques cas intéressants et significatifs de la difficulté de la gestion des déchets radioactifs en s’intéressant uniquement à la question des combustibles irradiés, issus des réacteurs électronucléaires, qui contiennent des produits de fission, du plutonium et des actinides mineurs dont les niveaux de radioactivité et, pour certains, les durées de vie, sont de loin les plus importants en termes de risques de l’ensemble des déchets.
Plus que sur les questions techniques dont l’exposé demanderait de plus amples développements et peuvent être retrouvées facilement sur chaque question particulière, nous nous sommes intéressés à deux aspects de la gestion des combustibles irradiés : la doctrine de gestion adoptée selon les pays et le processus de décision, notamment dans la prise en compte, ou non, de l’avis des citoyens.
Nous avons donc choisi quelques pays, hors la France, dont les démarches nous ont paru les plus intéressantes pour analyser ces choix, de façon plus complète pour ceux qui nous paraissent le plus significatifs et certains autres de façon plus simple.
Ainsi les Chapitres I à V présente la situation aux Etats-Unis en Belgique, en Suisse, en Suède et en Finlande. Au Chapitre VI sont présentées plus succinctement les cas du Royaume-Uni, de la Chine, de l’Allemagne, et du Japon.
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Conclusion du rapport
Les gouvernements des pays étudiés, ainsi que l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA), ont choisi comme solution préférée (ou dite « de référence ») le stockage en couche géologique profonde pour accueillir les déchets de haute activité à vie longue provenant des réacteurs électronucléaires (combustibles irradiés et déchets vitrifiés le cas échéant).
Ce choix a été fait a priori pour sa facilité apparente et l’intérêt pour les producteurs de déchets, non pas de les éliminer, mais de les « faire disparaître » prétendument. Il est en effet essentiel pour eux de pouvoir annoncer que « le problème des déchets nucléaires est réglé », même si l’on est loin du compte. Si le schéma général est sensiblement le même, il y a des différences importantes dans sa mise en œuvre selon que l’on retraite les combustibles irradiés ou qu’on les garde en l’état, selon le type d’entreposage pérenne l’on met en œuvre ou envisage, selon, dans le cas d’un stockage géologique profond, la nature de la couche géologique choisie ou soumise à la recherche, sur les caractéristiques de l’exploitation éventuelle d’un tel stockage, etc.
Nous avons placé les États-Unis en tête de ce rapport, car le développement du nucléaire, que ce soit à des fins militaires ou civiles, est parti de ce pays et que les filières de réacteurs électronucléaires qui s’y sont développées, à uranium enrichi et eau, sont très largement majoritaires au niveau mondial. Les États-Unis sont certainement le pays, hors la Russie, qui a accumulé le plus de déchets militaires et civils sans avoir eu la préoccupation dès le début de ce qu’il fallait en faire.
Au stade actuel, la gestion des combustibles irradiés aux États-Unis consiste en une série d’entreposages de plus ou moins longue durée. En décembre 2021, il y avait 86 000 tonnes de combustible irradié entreposées dans 75 centrales nucléaires en fonctionnement ou arrêtées, dans 33 États.
Du côté civil, le développement des surgénérateurs s’est avéré un échec. La production de plutonium n’étant plus nécessaire, le retraitement des combustibles irradiés envisagé dans ce but a été rapidement abandonné. Cela simplifie considérablement la gestion des déchets de haute activité puisque le déchet ultime est constitué par le combustible irradié qui garde ensemble l’uranium, le plutonium, les produits de fission et les actinides mineurs.
La solution choisie est donc, après le séjour en piscine du réacteur, l’entreposage en sec dans des conteneurs sécurisés sur site et, enfin, la recherche d’un ou plusieurs sites d’entreposage à sec centralisé (par région). En somme, une solution satisfaisante sur une durée qui peut atteindre le siècle.
Pour le plus long terme, l’idée du stockage géologique profond reste la ligne politique officielle. Là, les difficultés s’accumulent avec l’abandon du site de Yucca Mountain pour des problèmes géologiques et l’opposition à la fois de l’État du Nevada (Las Vegas), de sa population et des populations locales et surtout de l’accident en 2014 du stockage en profondeur de déchets du centre de recherche militaire de Los Alamos : WIPP, au Nouveau-Mexique.
Le pays père du nucléaire civil se trouve comme beaucoup d’autres à la recherche d’un site apparemment sans beaucoup d’illusions… Tandis que pas mal de centres de recherche travaillent sur des solutions alternatives. La question est plus simple pour le pays concerné lorsque le choix militaire est exclu et que, d’autre part, le plutonium à un usage civil n’est pas considéré comme présentant le moindre intérêt. Alors le combustible irradié est le déchet ultime. Ainsi la phase d’entreposage en piscine, suivi ou non d’entreposage à sec sur site ou tout centralisé, ce qui est le cas pour la Finlande et la Suède, précède dans de bonnes conditions de sûreté (notamment si entreposage à sec), l’éventuel stockage définitif. Très tôt la Suède travaille sur le stockage géologique profonde de granite. Ses chercheurs et son industrie développent un système de conteneur en cuivre devant durer une centaine de milliers d’années. Les critiques sur le choix du granite et du cuivre pour les conteneurs sont nombreuses, mais également sur le choix du site de Forsmark en bord de mer vulnérable à la montée des eaux.
Le processus de prise de décision paraît complexe mais s’avère judicieux : prendre le temps de la décision car celle-ci doit être démocratique. Si le principe de stockage profond est un site sont approuvés, la Suède n’est en fait qu’au tout début du projet de stockage définitif.
La Finlande qui vise également le stockage profond adopte le projet suédois : choix du granite, choix de la même configuration de l’installation de stockage, en surface comme au fond, choix des conteneurs en cuivre fournis par l’industrie suédoise. Par contre, le pays est très « pro-nucléaire » et accorde une grande confiance aux dirigeants politiques, aux scientifiques et aux ingénieurs et le processus de décision est beaucoup plus rapide qu’en Suède. Très rapidement, le choix du site d’Onkalo proche de la principale centrale nucléaire est adopté alors qu’il se situe sur une petite île et donc vulnérable à la montée des eaux. De ce fait, le projet d’Onkalo est le premier à être mis en œuvre avec le début de la construction du site de stockage.
Du point de vue de la nature des déchets de haute activité, la Belgique et la Suisse se trouvent dans une situation intermédiaire : ces deux pays ont choisi au début de leur programme nucléaire d’envoyer leurs combustibles irradiés pour être retraités en Angleterre et en France qui leur ont renvoyé les produits de haute activité : le plutonium en combustible MOX et les produits de fission et les actinides mineurs sous a forme de déchets vitrifiés. Cela complique évidemment la solution du stockage en profondeur qui est exploré dans ces deux pays avec des objectifs à long terme, la recherche d’un site de stockage étant particulièrement difficile.
« Le cas le plus inquiétant est celui du Royaume-Uni. »
Les situations de quatre pays, le Royaume-Uni, la Chine, l’Allemagne et le Japon, ont été traités de façon plus succincte, non pas du fait de l’importance de leur politique nucléaire mais parce que, bien que visant dans un avenir non déterminé une solution de stockage en profondeur, ils se heurtent pour différentes raisons à des difficultés qui rendent assez lointain l’horizon d’un projet bien identifié. Le cas le plus inquiétant est celui du Royaume-Uni qui, poursuivant à la fois des programmes militaires et des programmes civils, a accumulé sur le site de Sellafield des quantités considérables de déchets de toutes natures, y compris des combustibles irradiés et des déchets vitrifiés, entreposés dans des conditions déplorables sans que, à l’heure actuelle, aucune initiative ne soit prise pour améliore cette situation.
On a pu constater à quel point, sauf peut-être en Finlande, les processus de gestion par un stockage profond s’inscrivent dans une très longue durée. Pour la plupart des pays cette durée n’est même pas prévisible. Pour les plus avancés, il s’agit de projets qui, de la décision à l’exploitation s’inscriront largement au-delà de la fin du XXIème siècle. Ces projets avancés ont été élaborés au début de notre siècle et il est frappant de constater qu’aucun d’eux ne s’est projeté, non pas seulement sur la centaine de milliers d’années « garantis » par leurs promoteurs mais aussi sur ce que représente la construction et l’exploitation des sites choisis ou envisagés sur la centaine d’années à venir qui va connaître les effets des bouleversements climatiques dont les toutes récentes années nous permettent d’imaginer les conséquences.
Il est clair aujourd’hui que, au-delà des critiques que l’on peut apporter aux projets en cours ou en perspective, tout projet d’installations d’une telle ampleur et d’une telle dangerosité intrinsèque puisqu’il s’agit de manipuler sur un temps aussi long des matières extrêmement dangereuses, doit être entièrement « revisité » à l’aune des bouleversements climatiques, qu’il s’agisse de l’augmentation des températures, des sécheresses, des tornades, de la raréfaction de l’eau, des inondations et de la montée des eaux des océans et des mers, particulièrement pour les sites en bord de mer comme ceux prévus en Finlande et en Suède.
Comme le dit fort justement le géologue suisse Marcos Buser
dans un documentaire d’Arte :
« Il n’y a jusqu’ici aucun projet qui ait fonctionné ».
« Je pense que les gens seraient bien plus tranquilles si les experts leur disaient la vérité : « je ne sais pas tout ».
« Il faut mettre les déchets en sub-surface, à 30, 50 ou 100 mètres de profondeur ou à l’intérieur d’une montagne, dans des grottes sécurisées, bien ventilées où on peut les récupérer, et les laisser 200 à 300 ans pour donner le temps de trouver des techniques plus performantes pour traiter ces déchets. »
PHOTO : Système d’entreposage NAC choisi pour Three Mile Island