Combien d’actes de foi les citoyens seront-ils appelés à faire dans la sphère environnementale ? On les invite à en faire un de plus, et non le moindre. Puisque les autorités canadiennes ont donné le feu vert, 16 générateurs de vapeur radioactifs de 100 tonnes chacun se trimbaleront ce printemps sur les Grands Lacs et le fleuve Saint-Laurent et voyageront jusqu’en Suède, là où l’expertise permettra d’en recycler le fer.

Une excursion qui n’a rien de banal, quoi qu’en dise le ministre des Ressources naturelles du Canada, Christian Paradis, qui associe les critiques à une inutile « campagne de peur ». Les craintes entourant ce projet sont vives. Et elles sont légitimes.

Les maires de plus d’une centaine de municipalités riveraines s’indignent. Ils posent une question cruciale : comment ce transport peut-il être anodin alors que la matière radioactive qu’il contiendra dépasse largement les normes internationales ? Des sénateurs américains ont sonné l’alarme ”” les États-Unis doivent d’ailleurs encore permettre ce déplacement d’exception avant qu’il n’ait lieu.

Les communautés autochtones installées près de ces cours d’eau s’inquiètent et ragent de ne pas avoir été consultées, y voyant même une entorse à la loi. Au Québec, le ministre de l’Environnement, Pierre Arcand, exprime ses angoisses et enjoint à son homologue fédéral d’user de plus de prudence. Notre fleuve, dit-il, n’est pas un canal de randonnée pour déchets nucléaires.

Si seulement M. Arcand pouvait manifester un tel niveau d’anxiété devant l’appétit de l’industrie gazière ! La population a là aussi exprimé son désarroi et surtout vivement contesté l’apparente complicité entre le gouvernement et l’industrie. La Commission canadienne de la sûreté nucléaire (CCSN), qui a donné à l’ontarienne Bruce Power le feu vert pour déplacer sur nos eaux ses tonnes de matériel radioactif, s’est notamment alimentée aux données scientifiques fournies par... l’entreprise pour donner son autorisation. Voilà là une « objectivité » qui fait sourciller. Il faut espérer plus de l’« objectif » BAPE, qui doit rendre sous peu un rapport crucial sur le développement de la filière des gaz de schiste.

Les errements du développement nucléaire pourraient faire enseignement pour les adeptes du développement à vitesse grand V du filon gazier. Qu’arrivera-t-il dans 50, 100 ans ? Traverserons-nous des écueils semblables à ceux croisés sur la route nucléaire, où la durée de vie des équipements est limitée à quelques décennies, laissant derrière des déchets radioactifs dont on ne sait encore que faire ? Une solution permanente est toujours à inventer.

Les risques sont minimes, nous dit-on. Les accidents improbables, assure-t-on. Sur la base de ces professions simplistes, on ne peut vraisemblablement autoriser ce précédent, qui pourrait faire du fleuve Saint-Laurent une voie royale pour les rebuts explosifs. Impossible de faire acte de foi.