Un projet hors norme qui requiert l’excellence !
CIGÉO est un projet inédit et extrêmement périlleux : plus de 250 km de galeries et d’alvéoles creusées à 500 mètres de profondeur et destinés aux déchets radioactifs les plus dangereux (catégories HA et MA-VL), avec l’ambition de mener de front construction et exploitation et une fermeture envisagée à l’horizon 2150. Les études à conduire sont particulièrement complexes, incluant une multitude de paramètres, d’hypothèses et d’incertitudes ; des modélisations censées prédire la migration des produits radioactifs sur des dizaines de milliers d’années.
Dans un tel contexte, il est essentiel de pouvoir faire confiance à l’Andra, à son système de contrôle qualité et aux experts qu’elle a choisis.

La CRIIRAD a voulu éprouver la qualité des travaux de l’Andra et l’efficacité des contrôles officiels en procédant à l’analyse critique de l’étude d’impact élaborée par l’Andra à l’appui de sa demande de reconnaissance de l’utilité publique de CIGÉO (DUP). Le travail étant réalisé sur les fonds propres de la CRIIRAD, la contre-expertise a été limitée à l’état des lieux radiologique, un volet essentiel étant donné la nature des déchets destinés à CIGÉO.

Les résultats alarmants de l’analyse critique de la CRIIRAD sont détaillés dans une synthèse de 18 pages. Ils peuvent être résumés comme suit :

1/ Une étude a minima

Le volet radioécologique est la portion congrue de l’étude d’impact (13 pages sur les 612 pages du volume 3 consacré à l’état des lieux ; 6 pages sur les 278 du volume 7 dédié à la méthodologie). Aux nombreuses lacunes s’ajoute un problème général de pertinence et de cohérence. Certaines données proviennent par exemple d’études qui ne sont pas adaptées aux exigences de CIGÉO (et le problème est aggravé par l’introduction d’erreurs lors des transpositions).

2/ Une accumulation d’anomalies effarante

L’impression de laisser-aller lié aux erreurs de forme (coquilles, erreurs de référencement, fautes d’orthographe, doublons…) est confirmée par une multitude d’affirmations contradictoires : incohérences d’un volume à l’autre, entre texte et tableaux, entre texte et figures, parfois même d’une ligne à l’autre ou à l’intérieur d’un même tableau !

Plus graves, les anomalies qui mettent en cause la compétence des auteurs. Toute une série d’affirmations inexactes témoigne en effet d’un déficit de connaissances élémentaires en physique nucléaire et radioécologie : définition erronée du becquerel (l’unité de mesure de la radioactivité !), erreurs répétées sur la composition de l’uranium naturel, confusion entre rapport isotopique et rapport de masse, entre activité volumique et flux d’exhalation, méconnaissance du métabolisme du potassium, etc.

S’ajoutent à cela des contresens sur la signification de graphiques au contenu pourtant limpide, des raisonnements incorrects, des commentaires non étayés. Les erreurs sont parfois grossières : considérer, par exemple, que 34 Bq/kg sont supérieurs à 300 Bq/kg ; conclure que la radioactivité artificielle fluctue moins que la radioactivité naturelle sur la base d’un graphique qui indique l’inverse ; affirmer que la contamination de la viande est toujours inférieure à celle des végétaux alors que l’illustration qui suit montre plusieurs exemples contraires ; etc.

Afin que chacun puisse en juger, la CRIIRAD a élaboré un petit jeu pédagogique : CIGÉO, cherchez l’erreur ! Il est ouvert à tous et toutes : ont été sélectionnées des anomalies dont l’identification ne requiert aucune connaissance préalable en physique nucléaire, radioprotection ou radioécologie.

3/ Un dossier opaque

Les résultats détaillés des analyses ne sont pas publiés : le plus souvent, seules des moyennes ou des intervalles sont disponibles. Nombre d’analyses annoncées dans le volume “méthodologie” sont absentes du volume “résultats” sans que l’on puisse savoir s’il s’agit d’oublis ou de dissimulations. Le défaut de transparence empêche de lever le doute sur les contradictions internes et interdit toute interprétation indépendante.

De plus, en violation des obligations réglementaires et contrairement aux proclamations de transparence de l’Andra, les résultats n’ont pas été transmis au Réseau National de Mesure de la radioactivité dans l’environnement (RNM)3. C’est particulièrement choquant pour les analyses que l’Andra a confié à l’IRSN puisque cet organisme est en charge de la gestion de ce réseau4.

Ajoutons que l’Andra a par ailleurs opté pour l’anonymat des experts et limité au strict minimum les informations fournies, contrevenant ainsi aux dispositions du code de l’environnement

Des contrôles inopérants

Les erreurs identifiées révèlent des failles majeures aussi bien dans la rédaction de l’étude que dans la procédure de validation vantée par l’Andra : une procédure double avec contrôle interne et contrôle par un comité d’experts indépendants. Comment des “experts” ont-ils pu commettre autant d’erreurs, et des erreurs aussi grossières ? Et comment ont-elles pu échapper aux multiples vérifications ?

Ces constats mettent en cause la responsabilité de l’Andra comme celle des autorités. De fait, le code de l’environnement6 prescrit qu’elles doivent veiller à “l’exhaustivité et à la qualité de l’étude d’impact”. En tant que maître d’ouvrage, l’Andra doit s’assurer qu’elle est “préparée par des experts compétents” ; les autorités doivent de leur côté “veiller à disposer d’une expertise suffisante pour examiner l’étude d’impact” (ou à défaut y recourir) et exiger, si nécessaire, des corrections afin que le public et les décideurs disposent d’informations fiables et pertinentes.

Or, en dépit de toutes ses anomalies, le dossier a passé toutes les étapes, jusqu’à obtenir la reconnaissance d’utilité publique par décret en date du 18/07/2022, ce qui a permis à l’Andra de lancer la procédure d’expropriation en mars 2024.

L’étude d’impact a ensuite été actualisée pour la demande d’autorisation de création (DAC) que l’Andra a déposée en janvier 2023, soulignant qu’elle “marque l’aboutissement de 30 ans d’études et de recherches”. En juin 2023, l’ASN a jugé le dossier recevable considérant qu’il contenait toutes les pièces requises ainsi que les éléments nécessaires pour engager l’instruction de la demande. En avril 2024, l’IRSN a publié les résultats d’une expertise réalisée à la demande de l’ASN. L’expert officiel ne trouve rien à redire à l’état des lieux radiologique de l’environnement, soulignant au contraire que l’Andra a réalisé un “travail d’ores et déjà conséquent” pour l’établir.

Or, la quasi-totalité des anomalies que la CRIIRAD a identifiées dans l’étude pour la DUP subsistent dans l’étude pour la DAC, revue et complétée pour cette dernière étape avant la construction.

Ce bilan est d’autant plus inquiétant qu’un état des lieux radiologique est plutôt simple à établir, sans commune mesure avec les défis scientifiques, technologiques ou organisationnel que doivent relever les responsables du projet CIGÉO.

Une enquête est indispensable pour identifier les causes de tous ces dysfonctionnements, tant du côté de l’Andra que des autorités. Tant que les carences du système qualité n’ont pas été diagnostiquées et corrigées, il serait irresponsable de permettre la poursuite d’un projet aussi complexe et dangereux que CIGÉO.


Pour en savoir plus, consulter la synthèse de l’analyse critique de la CRIIRAD sur l’étude d’impact de l’Andra pour CIGÉO (volet radioécologie) :
ÉTUDE D’IMPACT produite par l’ANDRA pour le projet CIGÉO

EXTRAIT de la conclusion :

Il faut déterminer :

  1. Comment des « experts » ont pu écrire autant d’affirmations fausses ou contradictoires
  2. Comment d’autres experts ont pu ensuite vérifier ces travaux sans rien déceler ;
  3. Quel est le niveau d’implication de Subatech et de l’IRSN, les 2 organismes chargés de caractériser laradioactivité de l’environnement ;
  4. Pourquoi l’IRSN n’a pas identifié d’anomalies lors de son expertise de l’état des lieux radiologique (sa participation à l’étude l’a-t-elle rendu moins vigilant ?) ;
  5. Comment le dossier a pu franchir sans encombre toutes les étapes de la procédure de déclaration d’utilité publique ? Incapacité à voir ? Volonté de ne pas voir ?

Sur toutes ces questions, la CRIIRAD attend des explications circonstanciées.

Une enquête est indispensable pour établir toutes les responsabilités, identifier les causes des dysfonctionnements et mettre en place les garde-fous nécessaires pour éviter leur renouvellement.
Cigéo pose des défis scientifiques, techniques et organisationnels sans commune mesure avec l’élaboration, somme toute assez simple, d’un état des lieux radiologique. Pour les relever, comment faire confiance à l’Andra, l’organisme qui a orchestré l’étude d’impact, sélectionné les experts internes et les intervenants extérieurs, porté le dossier devant les autorités ; et comment s’en remettre aux services de l’État, incapables de repérer les failles pourtant béantes du dossier. La priorité doit aller à la sécurité, à la protection de la population, à la préservation de son environne-ment. Le processus d’autorisation de Cigéo doit donc être suspendu. L’Andra, les organismes d’expertise et les autorités doivent prouver, en préalable absolu à sa relance, leur capacité à garantir la qualité des études et des réalisations et donc la sûreté du stockage.