Le "train de l’enfer" vient d’arriver à destination en Allemagne, malgré les blocages des anti-nucléaire. Témoignage d’un Savoyard qui s’était enchaîné sur des rails à Caen.

Le 5 novembre dernier, onze activistes du Ganva (Groupe d’actions non violentes antinucléaires) ont bloqué pendant 3 h 30 à Caen le "train de l’enfer", un transport de déchets nucléaires parti de Valogne (Manche) en fin de matinée pour rejoindre Gorleben, en Allemagne. En participant à cette action de désobéissance civile, ils souhaitent dénoncer l’industrie nucléaire qui occasionne ces transports. Délogés par les forces de l’ordre, sept d’entre eux ont été maintenus en garde à vue pendant 24 heures avant d’être remis en liberté sous contrôle judiciaire jusqu’au procès, le 8 décembre prochain. Trois activistes, parmi lesquels un Savoyard – Damien -, ont été sérieusement blessés lors de l’intervention policière. Ils ont porté plaine contre X « pour violences aggravées ». De retour en Savoie, Damien se confie à La Voix.

Pourquoi avez-vous décidé de vous mobiliser contre ce convoi de déchets radioactifs ?

Je trouve que c’est aberrant de faire transiter 123 tonnes de déchets hautement radioactifs à travers la France et l’Allemagne pour les amener dans un lieu de stockage qui n’offre pas plus de garantie que celui où ils étaient entreposés au préalable. Ce transport de matières nucléaires était aussi le plus radioactif jamais effectué : il contenait deux fois la radioactivité émise lors de l’accident de Tchernobyl en 1986. De tels convois exposent les populations présentes le long de trajets à des risques démesurés, à la fois sur leur vie à court-terme, mais aussi à long terme sur leur santé... comme c’est le cas en Savoie avec les transports de déchets italiens depuis deux ans. Il était donc logique de s’opposer à ce trajet comme tous les autres convois atomiques le nécessiterait. Il s’agissait aussi d’exprimer une solidarité avec les populations d’Allemagne qui ne se résignent pas à voir leur terre contaminée à jamais.

Mais pourquoi cette forme d’action là ?

Cette forme d’action s’inscrit dans un mouvement de désobéissance civile. Cette action était certes illégale du point de vue de la loi, mais légitime face aux dangers et à l’opacité de la filière nucléaire. Se locker aux voies, après avoir pris toutes les précautions pour ne pas se mettre en danger vis-à-vis du train, est en outre un moyen de maintenir immobilisé le train pendant un certain temps sans avoir besoin d’être très nombreux sur la voie. Cette action visait à médiatiser le problème du nucléaire en Europe, la radioactivité ne connaissant pas de frontières

Et ce genre d’action, ça se prépare ?

Évidemment, c’est une action réfléchie qui a été pensée afin d’être réalisée en toute sécurité : comme pour toutes les autres, l’objectif était de ne pas avoir à se confronter physiquement aux forces de l’ordre.

Comment ça s’est déroulé le jour J ?

Une fois que les conditions de sécurité requises étaient confirmées, nous avons pu très rapidement installer sous les rails, des tubes métalliques sur lesquels nous étions cinq militants cadenassés. En quelques secondes, nous avons mis en place le blocage en toute sécurité. Nous avons alors déployé une banderole où il était écrit en allemand : « Notre résistance ne connaît pas de frontière. Castor 2010, premier acte. » Jusqu’à ce moment, tout se passait comme cela se déroule généralement dans les actions de désobéissance civile de ce type.

Les forces de l’ordre ont-elles mis longtemps à intervenir ?

Les policiers sont arrivés en quelques minutes par vagues, puis des gendarmes mobiles et, enfin, les CRS qui sont sortis du train qui approchait en marche lente vers nous. Les gendarmes ont commencé par enlever des voies les militants qui n’étaient pas enchaînés, et aussi les journalistes, puis les CRS se sont intéressés à nous. Ils ont alors déployé des bâches bleues pour empêcher les gens de voir ce qui allait se passer.

Et que s’est-il passé ?

Ils ont assez vite pris un lapidaire, une grosse meuleuse à moteur thermique, pour couper les tubes métalliques un à un. C’était assez impressionnant et nous ne savions pas comment ça allait se finir. Les CRS étaient très tendus et voulait nous désincarcérer le plus rapidement possible pour permettre au train de repartir. Cet empressement s’est fait au détriment de notre sécurité. Certes nous nous étions enchaînés aux voies, mais ils étaient de leur responsabilité de le faire en respectant notre intégrité physique.

Cela s’est mal passé ?

En plus de nous mettre une pression psychologique pendant plus de deux heures, les forces de l’ordre ont blessé volontairement trois d’entre nous en coupant les tubes. Personnellement, j’ai subi une brûlure au troisième degré sur la face dorsale de la main gauche.

Ne leur avez-vous pas dit qu’ils étaient en train de vous brûler ?

Si, je les ai prévenus : j’ai même hurlé à plusieurs reprises de douleur, mais il n’en avait rien à faire au début... au bout d’un moment, il finissait pas s’arrêter quelques secondes, avant de reprendre de plus belle. J’ai aussi entendu les autres hurler quand on coupait leurs tubes. D’ailleurs, nous avons tous été blessés lors de cette intervention des forces de l’ordre, dont deux autres plus gravement. L’un a eu aussi une brûlure au troisième degré et l’autre a eu deux tendons de la main sectionnés et a du subir une intervention chirurgicale.

Après avoir été désincarcérés, vous avez été emmenés à l’hôpital ?

C’est les pompiers qui m’y ont transporté. Ma Garde à vue m’a été notifiée à mon arrivée au CHU de Caen, avant que je ne sois soigné par les médecins... J’y suis resté environ deux heures, puis j’ai été transféré à l’hôtel de police où j’ai été placé immédiatement en cellule de détention. Le lendemain, nous avons été remis en liberté pour être déféré devant le procureur et le juge des liberté et de la détention.

Quelles ont été les réquisitions du procureur ?

On peut constater que la volonté du gouvernement de réprimer sévèrement les militants anti-nucléaires a été exécutée à la lettre. Finalement, nous faisons l’objet d’un contrôle judiciaire et nous devons régler une caution de 16 500 € avant le lundi 15 novembre, si l’on ne veut pas se retrouver incarcérés jusqu’au procès, le 8 décembre prochain.

Vous vous attendiez à cette décision ?

Nous nous attentions effectivement à nous retrouver devant la justice, c’est d’ailleurs souvent le cas dans ce genre d’action. Mais d’habitude, il n’y a pas une telle répression. D’ailleurs, nous appelons les gens à se mobiliser massivement pour notre procès afin de montrer une nouvelle fois notre opposition au nucléaire et à la répression qui l’entoure. Concernant le cautionnement, il nous semble assez aberrant puisque le parquet a admis notre volonté d’être présents au procès, alors que le contrôle judiciaire, surtout un tel contrôle par cautionnement financier a justement pour objet de s’assurer de notre représentation au procès. Cela démontre une volonté de mettre la pression sur nous

Sinon, de votre côté, vous avez aussi décidé de vous tourner vers la justice...

Il est inadmissible que dans le cadre d’une action non-violente, les forces de l’ordre utilisent la violence et occasionnent volontairement des blessures à des militants. C’est pour cette raison que nous avons déjà porté plaine, avec le soutien du Ganva, contre X « pour violences aggravées ». La volonté du gouvernement et du lobby nucléaire de faire passer ce convoi coûte que coûte aurait-elle conditionnée l’expression d’une telle brutalité de la part des forces de police ? Était-ce cela qu’elles avaient à cacher derrière les bâches tendues autour de la désincarcération ?

Vous pensez que cette démarche peut aboutir ?

Nous verrons bien le poids du lobby nucléaire sur la justice française...

Entretien : Pierre-Emmanuel Desgranges