2012 - Le rapport de la Cour des comptes sous-évalue les coûts du nucléaire
Le Monde.fr | 31.01.2012 / Propos recueillis par Audrey Garric
C’est l’éternel débat qui agite les anti et pro-nucléaire : combien coûte réellement la production d’électricité à partir de l’atome ?
La Cour des comptes a tenté de répondre à cette question délicate, mardi 31 janvier, dans un rapport très attendu, intitulé Les Coûts de la filière électronucléaire.
Pour Sophia Majnoni, chargée de campagne nucléaire à Greenpeace, ce travail permet d’"entamer la discussion sur les coûts réels de l’énergie nucléaire" mais "s’avère incomplet" et devra être approfondi à partir "d’audits indépendants".
Que pensez-vous du rapport de la Cour des comptes ?
C’est un travail inédit dans la mesure où il s’agit de la première fois qu’on l’on met sur la table l’ensemble des coûts de la filière électronucléaire, depuis la construction et l’exploitation des centrales jusqu’au démantèlement et au traitement des déchets, en passant même par l’assurance en cas d’accident. Il n’y a donc plus de coût caché.
Malgré tout, le rapport ne va pas assez loin dans la mesure où les coûts sont fortement sous-évalués. La Cour des comptes n’a en effet eu accès qu’aux devis établis par EDF, qui a pour habitude de minimiser les coûts, et n’a pas fait ses propres calculs et mesures. Enfin, nous sommes inquiets sur la conclusion du rapport et l’absence d’orientation stratégique de la France en matière d’énergie.
Estimez-vous que le coût du démantèlement des centrales est correctement estimé ?
La Cour des comptes estime le coût du démantèlement des 58 réacteurs français à 18,4 milliards d’euros, soit une moyenne de 317 millions d’euros par réacteur, tout en précisant que les charges pourraient augmenter. Selon l’institution, un doublement du devis de démantèlement entraînerait "seulement" une hausse de 5 % des coûts de production de l’électricité.
Ces coûts sont clairement sous-estimés. En effet, le démantèlement de la centrale de Brennilis (Finistère), le seul en cours actuellement, est pour l’instant chiffré entre 450 et 500 millions d’euros et l’opération n’est pas encore achevée. On se situe donc déjà au-delà des chiffres fournis par EDF pour le démantèlement moyen d’un réacteur, alors que la puissance du site, de 70 MW, est largement inférieure à celle des autres centrales (entre 900 et 1 400 MW). Selon nos calculs, le démantèlement du parc français ne va au final pas doubler mais quadrupler. Ce qui équivaudrait en réalité à une augmentation de 20 % du prix du mégawattheure.
Au final, le rapport donne-t-il le vrai prix du nucléaire ?
Non, car il faudra attendre que l’Autorité de sûreté nucléaire achève, en juin, ses prescriptions en ce qui concerne les investissements nécessaires au sein du parc nucléaire. Ce n’est qu’à ce moment-là que l’on pourra connaître le vrai coût des installations nucléaires. Un audit indépendant et transparent sur les coûts qui présentent encore des incertitudes, notamment ceux liés au démantèlement, doit aussi être réalisé.
A défaut de donner le vrai prix du nucléaire, le rapport de la Cour des comptes met fin au mythe d’un nucléaire pas cher. Il reconnaît que le coût de cette énergie a toujours augmenté ces dernières années et qu’il va continuer à le faire. Que l’on choisisse de prolonger la durée de vie des centrales ou de les fermer, le coût du nucléaire va augmenter, et celui de l’électricité avec. Enfin, le rapport enterre l’EPR. En indiquant une fourchette de prix de 70 à 90 euros le MWh, soit aussi cher que l’éolien terrestre, il prouve que le réacteur nucléaire de troisième génération n’a plus aucun intérêt.