Ce mercredi 22 mai, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a rendu un avis sur différents documents produits par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) depuis 2009 et relatifs au projet de stockage de déchets radioactifs en couche géologique profonde. Un avis qui concerne directement le centre industriel de stockage géologique de déchets nucléaires (Cigeo) du Bure (Haute-Marne) dont le projet fait l’objet actuellement d’un débat public.

Si l’avis traite d’aspects techniques, certaines remarques sonnent comme des critiques concernant la conception générale du projet. Parmi les principales, l’ASN pointe l’inventaire des déchets destinés à Cigeo qui, selon elle, ne prend pas en compte l’ensemble des scénarios possibles, notamment s’agissant d’une éventuelle sortie du nucléaire. Quant à l’évaluation du risque sismique, la démonstration du stockage en alvéoles et le délai de réalisation du centre, si l’ASN ne remet pas foncièrement en cause les solutions retenues par l’Andra, elle émet cependant des critiques à peine voilées.

Un inventaire des déchets à compléter

L’ASN souligne l’importance de présenter aux parties prenantes les évolutions possibles de l’inventaire des déchets qui doit être associé au dossier de demande d’autorisation de création du site de stockage en couche géologique profonde. Ce point reprend en partie une critique formulée notamment par France Nature Environnement (FNE) qui déplore que "la liste [des déchets destinés à Cigeo] n’est pas arrêtée, ni en quantité, ni en qualité".

"Si la création d’une installation de stockage géologique profond est autorisée, le décret d’autorisation devra comprendre un inventaire définissant en nature et en volume maximal les déchets pouvant y être stockés", rappelle l’ASN qui qualifie d’"élément essentiel" cet inventaire et rappelle que "toute modification à la hausse constituerait une modification notable, soumise à une procédure complète d’autorisation". Et de préciser qu’un nouveau débat public serait alors probablement nécessaire.

Dans ce cadre, l’ASN recommande de présenter "des hypothèses majorantes, en fonction des choix possibles en matière de politique énergétique, en particulier sur la question du stockage de combustibles usé". En effet, l’ASN estime que la révision de l’inventaire des déchets destinés à l’enfouissement devrait tenir compte de l’ensemble des stratégies aujourd’hui envisagées concernant la durée de fonctionnement des réacteurs, la gestion des combustibles du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et un éventuel enfouissement des combustibles usés sans retraitement préalable.

"Dans le cadre des études de conception de l’installation de stockage, des marges adaptées devraient couvrir l’incertitude sur les volumes à stocker des déchets pour lesquels des conditionnements restent à définir ou sont en cours d’instruction", prévient l’Autorité.

Envisager le stockage du combustible usé

L’ASN consacre un point spécifique au stockage direct de combustibles usés provenant des réacteurs français. En l’état, le projet Cigeo est destiné à recevoir des déchets radioactifs, c’est-à-dire des matières radioactives dont aucun usage n’est prévu. Or, aujourd’hui en France, le combustible usé n’est pas officiellement considéré comme un déchet puisqu’il est retraité pour en extraire l’uranium et le plutonium. Seul le solde, soit environ 4% du combustible, constitue les déchets radioactifs.

Les combustibles usés "ne sont par conséquent pas compris dans l’inventaire du projet de stockage géologique profond", rappelle l’ASN estimant "toutefois [que] dans une démarche de sûreté et de robustesse à l’égard des choix énergétiques futurs, l’Andra doit poursuivre les études sur les options techniques de conception qui seraient à mettre en œuvre pour [leur] stockage direct éventuel". L’ASN envisage ici une éventuelle sortie du nucléaire qui rendrait inutile le retraitement des combustible et entraînerait une augmentation considérable des volumes de déchets destiné à Cigeo.

L’ASN juge notamment que "la validation du concept d’alvéole retenu par l’Andra dans le dossier 2005 pour le stockage de combustible usé nécessiterait la réalisation d’un démonstrateur in situ afin de qualifier les systèmes de manutention des colis dans l’alvéole, notamment eu égard à la possibilité de retrait des colis sur des durées d’exploitation longues, compte tenu de l’exigence de réversibilité du stockage".

Une expérimentation trop courte

Par ailleurs, l’Autorité émet trois critiques d’ordre général. La première concerne l’évaluation des risques sismiques qui, en France, repose principalement sur une approche déterministe alors que l’Agence internationale à l’énergie nucléaire (AIEA) recommande d’appliquer en complément une approche probabiliste. Ce point, qui a fait l’objet de critiques dans le cadre des stress tests européens, est repris par l’ASN qui, après avoir souligné "la qualité des études et recherches menées par l’Andra depuis 2009", juge qu’"à l’avenir, l’Andra devra (…) combiner plus systématiquement approches déterministe et probabiliste, notamment pour évaluer l’impact du stockage et quantifier l’aléa sismique".

De plus, l’autorité émet des doutes sur la faisabilité des démonstrateurs censés apporter la preuve de la sûreté du stockage à long terme. Cette critique vise directement la durée de l’expérimentation. "La durée d’un an annoncée à ce jour séparant la construction d’une alvéole témoin [pour les déchets de moyenne activité à vie longue (MAVL)] inactif et la mise en actif de l’installation, prévue en 2025, pourrait s’avérer insuffisante" pour faire la démonstration de sûreté.

Quant à la réalisation du site de stockage, l’ASN anticipe de possibles dépassements des délais. "Les producteurs de déchets concernés doivent prendre les marges nécessaires pour couvrir d’éventuels aléas (…) de façon à disposer en temps voulu des capacités d’entreposage des déchets suffisantes préalablement à leur stockage en couche géologique profonde", prévient l’Autorité.