Depuis quelques semaines, l’Etat sonde 3 000 élus locaux pour choisir un site d’enfouissement de déchets radioactifs. Beaucoup hésitent face à cet investissement écologiquement risqué
Le Monde / Hervé Kempf 27.08.08
http://www.lemonde.fr/sciences-et-environnement/article/2008/08/26/l-est-poubelle-nucleaire-de-la-france_1087954_3244.html

L’Est, "poubelle nucléaire" de la France ?

"Cela m’est tombé dessus, comme ça, un jour de juin. Jusque-là, je n’en avais jamais entendu parler." Comme 3 114 autres maires dans vingt départements, Gilbert Vallot, le premier magistrat de Briaucourt, en Haute-Marne, a reçu avec perplexité, au début de l’été, une lettre du préfet, puis un dossier de l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs). On l’informait que sa commune se situait dans une zone géologique propre à accueillir un enfouissement de déchets radioactifs à "faible activité et à vie longue", dits FAVL. Dans plusieurs départements de la France rurale - Lot, Indre, Seine-Maritime, Nord -, l’Andra a identifié les zones argileuses stables qui conviendraient, mais c’est dans l’est du pays, en Lorraine et en Champagne, que se trouvent les couches géologiques appropriées les plus vastes.

Les FAVL regroupent des déchets issus du radium et d’autres en graphite radioactifs produits par les centrales nucléaires de la filière française graphite-gaz opérationnelle dans les années 1960 et 1970. Ils sont relativement peu radioactifs, mais leur nocivité court sur plusieurs milliers d’années, voire 300 000 ans pour un de leurs éléments, le chlore 36. Le stockage est censé se remplir entre 2019 et 2040, après quoi il serait "sous surveillance" pour une durée... indéfinie.

L’est du bassin parisien accueille déjà, dans une famille de déchets radioactifs qui n’en finit plus de grandir, un centre de stockage de déchets très faiblement radioactifs, à Morvilliers (Aube), un centre de déchets radioactifs à vie courte, dans la forêt de Soulaines (Aube), le laboratoire d’étude des déchets très radioactifs à vie longue à Bure (Meuse). La région développe, à contrecoeur ou avec fatalisme, selon les interlocuteurs, une spécialisation de "poubelle nucléaire" de la France.

Dans son dossier de promotion, l’Andra met en avant l’intérêt économique du stockage des FAVL, qu’elle tend à présenter comme une activité industrielle comme une autre : "Ce projet constitue une véritable opportunité de développement économique", écrit l’Agence. Dans des départements qui se sentent en perte de vitesse, l’argument porte. A Gondrecourt-le-Château (Meuse), par exemple, l’usine de meubles Meuse Omni Style témoigne des difficultés industrielles de la région : fin 2004, la direction avait annoncé que le nombre d’emplois devait passer de cinq cents à cent. "Je ne vous raconte pas le triste Noël que nous avons passé", dit Stéphane Martin, le jeune maire du chef-lieu de canton. "Je ne vois pas comment créer de l’emploi à Gondrecourt. Alors les cinquante emplois que promet l’Andra pendant quelques décennies, je les prends !"

Gondrecourt, démarchée par l’Agence, est située à 8 km du laboratoire de Bure et peut déjà apprécier les retombées financières de celui-ci : 550 000 euros de taxes et reversements départementaux qui forment près du tiers du budget communal. "Si les FAVL viennent sur notre commune, je les justifierai comme un outil industriel, poursuit l’édile. Il faut casser la sinistrose qui règne ici, retrouver un dynamisme sur la commune, donner l’envie de réussir aux jeunes."

Il énumère ce qu’il envisage de faire : "Des logements de standing, étendre le parc locatif pour accueillir une nouvelle population, l’assainissement collectif, des services culturels, sportifs. Et puis, je voudrais refaire la place de l’Hôtel-de-Ville : telle qu’elle est aujourd’hui, elle n’est pas digne d’un chef-lieu." La situation n’est cependant pas désespérée : Gondrecourt-le-Château compte 1 300 habitants, un tissu artisanal très actif et s’enrichit de citoyens qui s’installent ici - le prix de l’habitat est plus faible qu’en ville - pour aller travailler à Nancy, à 45 minutes.

Une situation comparable à celle de Briaucourt (Haute-Saône), située près de Chaumont, et dont le maire, pourtant, adopte un point de vue diamétralement opposé. La commune de 250 habitants a perdu des exploitations agricoles dans les vingt dernières années, et l’usine des forges de Bologne, spécialisée dans l’équipement aéronautique, dans la commune voisine de Bologne, fournit beaucoup moins d’emplois que naguère. "Mais des jeunes commencent à s’installer chez nous, c’est nettement moins cher qu’à Chaumont, à 15 km", dit le maire, Gilbert Vallot. "On essaye de développer le tourisme : il y a ici des lieux de chasse, de pêche, de randonnée, une vraie qualité de vie. On a des atouts, il ne faut pas les détruire. Quelle image un dépôt de déchets nucléaires nous donnerait-il ? Est-ce que vous achèteriez une maison dans une commune où se trouve un stock de déchets nucléaires, vous ?" L’élu doute des retombées économiques : "Si vous lisez le dossier, vous voyez qu’on finit avec cinq emplois permanents, pour la surveillance."

L’Andra est bien consciente du problème. "Parler de déchets radioactifs n’est jamais très porteur, reconnaît François Chastagner, son directeur industriel. Nous apportons une perturbation dans les territoires d’accueil. Notre devoir est de les écouter, de décrire ce que va représenter le projet en termes de flux de nuisances, mais aussi ce qu’il va apporter. C’est une activité sans risque de délocalisation. Il y a peu d’industries qui possèdent un carnet de commandes assuré pour soixante ans."

Mais la question a aussi une dimension éthique incontournable. "J’ai un petit-fils, je ne me vois pas engager ma commune, engager les générations futures, dans quelque chose qui durera 300 000 ans, explique Gilbert Vallot. Qui peut garantir que l’on retiendra la radioactivité pendant une telle période ? Je n’y crois pas. On a reçu le dossier, et juste après, il y avait les incidents radioactifs au Tricastin. L’homme fait toujours des erreurs."

Stéphane Martin voit les choses autrement : "Cent mille ans, on ne se rend pas compte. Déjà deux mille ans me paraissent énormes. Mais je suis optimiste de nature : il y a cinq cents ans, on ne connaissait pas le nucléaire. La science peut progresser, transformer les déchets. C’est pour ça qu’il faut garder ouverte l’option de la réversibilité."

Avantage ou nuisance économique ? Responsabilité à l’égard des générations futures ? Difficile de trancher. Il reste à ouvrir largement le débat, et pas seulement au niveau des élus. "L’Etat essaye de ne pas en parler, parce que quand les gens sont au courant, ils réfléchissent et deviennent opposés", dit Gilles Desnouveaux, maire de Reynel (Haute-Marne), sollicité pour les FAVL et qui refuse le projet.

Nombre d’incertitudes scientifiques entourent le dossier, dont l’Andra n’a pour l’instant pas clairement informé les élus. Dans son rapport annuel rendu en juin, la Commission nationale d’évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et déchets radioactifs souligne que la réalisation d’un stockage de FAVL ne sera pas aussi simple qu’il y paraît : "On disposera de délais brefs pour jauger les performances d’un site, concevoir un stockage, conduire des études de sûreté et préciser l’inventaire que le site peut accueillir, écrit la Commission. Certaines connaissances risquent donc d’être encore mal consolidées à ce stade et de laisser place à des marges d’incertitude qu’on n’aura pas eu le temps de réduire significativement, ce qui devra inciter à une attitude prudente."

Pour les communes qui s’engageraient dans les FAVL, de longues années d’incertitude, de changement, mais aussi de malaise, s’annoncent.

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Le Monde - 17 août 2008 - Xavier Ternisien

Les élus doivent compenser le départ des militaires

Pourles élus d’Alsace et de Lorraine, l’implantation d’un site de stockage de déchets radiocatifs de faible intensité apparaît comme une goutte d’eau comparée à la saignée que subit actuellement le Grand Est de la France, dans le cadre de la restructuration de la carte militaire.

En tout, la Lorraine devrait perdre 8 500 emplois civils et militaires. Un traumatisme qui ravive les souvenirs de la grande crise de la sidérurgie dans les années 1980. La région avait alors perdu 100 000 emplois industriels sur une période de vingt-cinq ans dans la métallurgie, les houillères et les mines de fer. Le choc actuel est plus faible, mais plus concentré dans le temps. " A elle seule, l’agglomération de Metz va perdre 5 000 à 6 000 emplois dans cette opération, ce qui représente un dixième de l’effort national ", déplore le député (UMP) de Moselle François Grosdidier. Les Messins ont un maigre lot de consolation : ils conservent leur cour d’appel qui, initialement, devait être supprimée dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire.

En Moselle également, la petite ville de Bitche (5 700 habitants), située à la frontière allemande, va perdre la moitié de sa population avec la dissolution du 57e régiment d’artillerie. Commercy, dans la Meuse, devrait voir disparaître 900 emplois avec le départ du 8e régiment d’artillerie. Le député (UMP) Bertrand Pancher a demandé, sans trop d’illusions, la délocalisation de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), dont le siège social se trouve à Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine). Son argument majeur est que la Meuse abrite déjà, à Bure, un laboratoire de recherche pour le stockage souterrain de déchets de haute activité à vie longue.

S’il n’obtient pas le déménagement de l’Andra, le député de Commercy espère l’installation dans sa ville d’un régiment franco-allemand. Mais, pour lui comme pour les autres élus lorrains, le stockage des déchets n’est pas " une panacée ".

François Grosdidier met en garde les maires qui pourraient être tentés : " Les communes touchées par les restructurations militaires doivent d’abord développer leur attractivité dans le secteur marchand. Or le stockage de déchets radioactifs n’est pas de nature à rendre attractive une zone sinistrée, ni pour les entreprises ni pour les populations... "

Jean-Pierre Masseret, président (PS) du conseil régional de Lorraine, va plus loin : " Nous n’avons pas vocation à être une poubelle ou un pot de chambre, s’exclame-t-il. Les Lorrains vivraient mal qu’on leur propose de compenser le départ des militaires par l’arrivée de déchets radioactifs. Si un centre de stockage doit voir le jour en Lorraine, il faut que cela s’inscrive dans un cadre plus vaste, avec un accompagnement en termes d’aménagement du territoire, d’implantation de centres de recherche et d’une réindustrialisation. "

" EN LEUR ÂME ET CONSCIENCE "

Adrien Zeller, le président (UMP) de la Région Alsace, juge que la balle est dans le camp des maires. " C’est à eux qu’il appartient, en leur âme et conscience, de décider s’ils sont prêts ou pas à accueillir une telle implantation. " Néanmoins, M. Zeller croit plutôt déceler des réticences chez les 900 maires de sa région. " Les Alsaciens ont plutôt une sensibilité favorable à l’environnement ", souligne-t-il. Il insiste sur la transparence qui doit accompagner une telle implantation. " Il ne suffit pas pour un maire de prendre un chèque et de se taire dans son coin. Je n’ai pas à intervenir dans leur choix. Je n’ai pas de position de principe. Mais j’espère que le débat sera ouvert localement et que chacun pourra s’exprimer sur des enjeux aussi importants. "

Si l’ouverture d’un centre de stockage de déchets peut affaiblir l’attractivité des villes moyennes touchées de plein fouet par les restructurations militaires, elle offre en revanche une manne tentante pour beaucoup de communes rurales qui perdent de la population.

Le cas se produit fréquemment aujourd’hui avec l’éolien. " La taxe professionnelle apportée par l’installation d’éoliennes dans les villages est considérable, constate Adrien Zeller. Beaucoup de maires y succombent. " Les déchets radioactifs connaîtront-ils le même succès ? Jean-Pierre Masseret en doute : " Pour l’instant, je n’ai pas connaissance de maires qui se seraient portés spontanément candidats. La tendance actuelle est plutôt à la prudence et à la réserve.

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"Aujourd’hui en France / le Parisien. 1.08.08

Notre reportage à 500 mètres sous terre

Que faire de nos déchets nucléaires ?

Pollution. Les récents incidents à la centrale du Tricastin (Vaucluse) ont réveillé les inquiétudes sur la sécurité de la filière nucléaire. Mais aujourd’hui, c’est surtout la gestion des résidus radioactifs qui préoccupe les autorités.

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Le casse-tête des déchets nucléaires.

LA FILIÈRE du nucléaire a été sortie de sa torpeur cet été par une série d’incidents sur le site du Tricastin. Le dysfonctionnement de l’usine Areva/Socatri le 7 juillet, avec la fuite d’une cuve d’uranium déversant 74 kg dans la nappe phréatique, a inquiété la population locale privée d’eau potable pendant plusieurs jours et a mis en lumière la présence d’anciens déchets militaires radioactifs enfouis dans une butte.
Quelques jours plus tard, 100 employés étaient « légèrement contaminés » dans un incident à la centrale EDF. Hier, la CFDT a estimé « qu’il fallait sortir de cette logique de rentabilité maximale aux dépens des salariés et de la sécurité, et ne pas faire payer les lampistes », alors même que les gendarmes multiplient leurs auditions au Tri castin.

Les partisans du nucléaire ont beau réaffirmer que cette filière est très sûre, le doute, latent depuis Tchernobyl en 1986, resurgit. Ces incidents ravivent notamment la délicate question du devenir des déchets radioactifs.
Que faire en particulier des résidus « à haute intensité » ? Leurs conditions de stockage actuel dans certains sitesposent problème, d’après certains rapports officiels que nous avons pu consulter. Tout indique en effet que ces déchets devraient à terme être transférés dans l’incroyable centre souterrain de Bure (Meuse), que nous avons pu visiter, et dont la réalité dépasse l’imagination des auteurs de science-fiction.


L’Est lourdement sollicité

Mais la question des déchets « faiblement radioactifs » n’est pas non plus totalement réglée. Mi-juin, 3 116 communes ont reçu un courrier de l’Agence nationale de gestion des déchets radioactifs (Andra) leur annonçant que leur sous-sol est compatible avec un nouveau projet de stockage. L’« heureux élu » sera connu en 2010. Une dizaine de maires seraient intéressés, dans l’Indre, le Lot et l’est de la France, déjà lourdement mis à contribution. Mais d’autres élus sont farouchement contre. Le « débat public » qui doit s’amorcer à l’automne promet d être mouvementé.


Ce qu’ils en pensent

Michel Marie, animateur du Collectif contre l’enfouissement :

Les déchets radioactifs sont par nature ingérables. Il n’existe aucun moyen efficace pour se protéger à long terme du danger qu’ils représentent. L’idée d’enfouir ces résidus nucléaires sous terre ne nous rassure absolument pas. Le plutonium a une durée de vie de vingt-quatre mille ans et il provoque des cancers si l’on s’en approche. Ce n’est donc pas une solution de les cacher sous terre, et de faire comme s’ils n’existaient pas.
La mesure que nous proposons en priorité est d’arrêter d’en produire. La seule solution étant de sortir du nucléaire. Nous demandons un référendum sur le sujet. La Champagne-Ardenne ne doit pas devenir la poubelle nucléaire de la France.


Jean-Paul Baillet, secrétaire général de l’Andra :

“Actuellement, on n’a pas en France de centre de stockage pour les déchets de haute activité à vie longue qui soit totalement satisfaisant. Les déchets radioactifs sont là, il faut donc trouver une solution. Bure n’est pour l’instant qu’un laboratoire de recherche. En 2015, conformément à la loi, et si le Parlement le décide, donc le peuple, il sera transformé en zone de stockage souterrain. Des études approfondies sont menées en ce moment pour vérifier qu’il n’y aura pas de rejets dans l’environnement. La zone n’est pas sismique. Si le projet est validé, nous appliquerons le principe du pollueur-payeur en faisant payer le stockage aux exploitants. Ca ne coûtera pas d’argent au contribuable.”


Ces sites qui posent problème.

DANS certains sites, le plus souvent anciens, le stockage des déchets nucléaires pose problème. Les autorités de tutelle en conviennent et incitent les exploitan ts à trouver des solutions en urgence. Revue de détail.

A Cadarache (Bouches-du-Rhône) un entrepôt en pleine terre. Dans son rapport d’activité 2007, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) indique « qu’une partie du parc d’entreposage de Cadarache est constituée par cinq tranches remplies entre 1969 et 1974, avec différents déchets solides de faible et moyenne activité, puis recouvertes de terre ». Selon Thierry Charles, directeur de la sûreté des usines à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), « il n’y a pas assez de barrières entre les déchets et l’extérieur pour garantir qu’il n’y aura pas à terme de contamination ». L’ASN précise « avoir demandé au Commissariat à l’énergie atomique, qui exploite le site, d’accélérer le transfert de ces déchets vers une structure d’entreposage plus moderne ».

Affaissement du centre de stockage de la Manche. Depuis les années 1970, 530 000 m 3 de déchets radioactifs ont été stockés dans le centre de la Manche, à Digueville (une des unités du centre de la Hague), qui est maintenant rempli « à ras bord » depuis 1994. Un=2 0léger « affaissement du centre » a été constaté dans les années 1980 et une « couverture définitive » avait été préconisée. « Mais celle-ci n’a pas été faite », indique l’IRSN. L’ASN dit « mettre une pression forte sur l’exploitant, pour transférer certains fûts, en mauvais état, vers un autre centre de stockage », en l’occurrence, celui de Soulaines (Aube).

Du tritium aux abords de la base militaire de Valduc. Le centre de Valduc, à 45 km au nord-ouest de Dijon (Côte-d’Or), est une « installation nucléaire de base secrète » (INBS) de la défense nationale. A l’IRSN, Jérôme Jolly, le directeur de l’expertise nucléaire de défense, précise : « A Valduc, il n’y a pratiquement plus de rejet. Mais ils ont eu auparavant des problèmes avec le tritium, dans leur environnement. »


Ici on prépare l’enfouissement à 500 mètres sous terre

ON SE CROIT dans le « Voyage au centre de la Terre » de Jules Verne, ou au coeur d’une BD de science-fiction. Sauf que c’est vrai. A Bure, on descend dans des galeries à 500 mètres de profondeur, là où devraient être enfouis en 2025 les déchets radioactifs français les plus dangereux. A l’extérieur, la campagne de Champagne-Ardenne est calme. Quelques tracteurs sillonnent des champs de blé et repartent vers des villages où dominent les monuments aux morts de 1914-1918.
Le laboratoire de l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) a surgi ici, sur décision du gouvernement en 1998. Dans ces entrailles, on prépare le futur « tombeau » des déchets nucléaires ultimes, ceux qui restent dangereux pour l’homme pendant des dizaines de milliers d’années. On y descend comme à la mine. Après une formation « sécurité incendie » de vingt minutes, on embarque pas très rassuré dans un ascenseur rond, casque sur la tête, blouse fluo siglée Andra, et muni d’un appareil respiratoire.

« Sous vos pieds, il y a l’équivalent d’une fois et demie la tour Eiffel », explique Michel-Antoine Martin, ingénieur hydrologue et responsable de la communication du site. Dans un bruit de vieux train, l’appareil met huit minutes une éternité pour atteindre le fond. Là commence un voyage surréaliste et hallucinant. Des kilomètres de galeries sont creusés dans la roche. Des engins de chantiers, livrés sous terre en kit, creusent la paroi. Des capteurs sont plantés dans la roche, soutenue par d’énormes arceaux en béton, pour vérifier sa résistance. « Notre principale préoccupation est de vérifier que l’eau ne peut s’infiltrer et emporter les colis nucléaires », commente-t-il. Choisi en partie pour sa géologie, ce site est censé être un « coffre-fort » inviolable grâce à sa couche d’argile. Selon l’Andra, les premiers tests ont été satisfaisants, mais ils doivent être approfondis. Les physiciens se demandent si les trous dans l’argile ne risquent pas de fragiliser les parois.

« Comment récupérer un colis défaillant ? »
Pour l’instant, aucun colis radioactif n’est entreposé. La loi de 2006 sur les déchets nucléaires a arrêté la date de 2025 pour le stockage, après une phase de « validation » jusqu’en 2015, dans le cadre d’un « débat public ». Mais, sur place, l’issue ne fait guère de doute. « Si la France décide d’aller vers le stockage, ce sera ici », affirme l’Andra. De fait, il n’y a pas d’autre laboratoire de ce type en France, alors que les déchets hautement radioactifs s’accumulent sur tout le territoire. Si Bure devient centre de « stockage », il faudra creuser d’autres galeries pour accueillir tous les colis et prévoir des voies d’accès pour aller éventuellement les rechercher. Car la loi prévoit la « réversibilité », c’est-à-dire qu’un colis nucléaire « défaillant » doit pouvoir être récupéré.

Comment faire s’il est au fond d’une galerie, noyé dans du béton ? Michel-Antoine Martin concède que « ce ne sera pas le plus simple… mais avec un bon plan et le code-barres du colis, on pourra aller le chercher ». Un des enjeux majeurs de ce site longue durée concerne les générations futures. Les chercheurs cogitent sur la façon dont il faudra indiquer que c’est ici », au cas où dans des milliers d’années toute indication viendrait à disparaître. L’idée de mettre des reproductions du tableau « le Cri » de Munch, représentant universellement la peur et l’effroi, pour indiquer la dangerosité du lieu, a même été envisagée. La dernière piste avancée serait… de ne rien marquer du tout.


"Eloignez-vous pour éviter les rayons"

IL EXISTE déjà un centre de stockage de déchets "moyennement contaminants" en France, à Soulaines. "Nous avons fêté l’arrivée de notre 200 000e m3 de colis l’été dernier, sur une capacité totale de stockage d’un million de m3", explique Nadège Habrant, chargée de la communication du site. Perdu à une soixantaine de kilomètres à l’est de Troyes, le centre accueille des "colis" constitués "d’anciens gravats contaminés, de blouses, de matériels de chantier, de ferrailles". Mais aussi "de couvercles de cuves de centrales nucléaires". Les déchets sont enfermés dans des "coques" en béton ou dans d es caissons métalliques orange. Ils sont livrés par camions spéciaux, portant la mention "radioactif" sur leur benne, empruntant les routes normales, avec le symbole du "trèfle" nucléaire.

Lundi dernier, lorsque nous étions sur place, une benne était stationnée avec une étiquette mentionnant "Pu 238" et "Pu 239", signant la présence de rayonnement de plutonium à bord, un radioélément très dangereux. Les "trois barres" étaient inscrites, ce qui signifie "la plus haute contamination autorisée ici". "Nous vous conseillons de ne pas trop rester longtemps à côté du véhicule. Eloignez-vous pour éviter les rayons", nous indique-t-on. En sortant du centre, l’appareil de dosimétrie nous annonce que nous "n’avons pas été contaminés". Ouf. Les "fûts" sont stockés dans d’immenses cubes de 25m x 24m x 8m, qui seront recouverts de béton. C’est censé durer "au moins 300 ans".

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Bure - Des riverains plutôt dubitatifs

IL Y A les très pour, les très contre, et ceux qui ne se prononcent guère. Parmi les très contre, les collectifs anti-enfouissement sont très actifs. Mais Aurore, 21 ans, fille de paysans de la Meuse, et ses amis admettent avoir du mal à mobiliser la population. "Les gens n’ont pas de boulot, ils croient que l’Andra leur en donnera. Ce seront des postes de vigile, car les savants viennent d’ailleurs", constate celle qui refuse la "poubelle nucléaire".

La présidente du collectif Bure stop Meuse, Nadine Schneider, dénonce, elle, "la propagande subtile de l’Andra. Il font venir des lycéens et des enseignants dans le centre, et ils délivrent leur message sans contradiction. Ils embauchent des sociologues pour savoir comment parler à la population". L’Andra confirme, prétextant "jouer la transparence".

Un nouveau dynamisme

Côté pour, certains mettent en avant le nouveau dynamisme de la région. Le maire de Soulaines et président de la communauté de communes, Philippe D’Allemagne, indique que "des emplois ont ét crées et que la population rajeunit". Même si sa commune "n’est pas candidate à l’attribution du nouveau centre de stockage pour les déchets à vie longue". "A moins que l’offre de développement économique soit conséquente". Ses collègues élus sont partagés. Le maire de Saint-Blin, Bernard Guy, indique "qu’il est plutôt pour. Il faut bien mettre les déchets nucléaires quelque part, pourquoi pas chez nous, si c’est bien fait ?". Son collègue de Reynel, Gilles Desnouveaux s’insurge : "Cent mille fois non. La Champagne-Ardenne a assez donné question sacrifices au cours du XXe siècle !" Une majeure partie de la population semble dubitative. On entend souvent : "Arrivera ce qui arrivera."