Le scientifique souligne les points forts d’une étude « impressionnante » sur le plan géologique, constate que les critères basés principalement sur la sédimentologie, l’épaisseur et la profondeur ont été respectés dans la sélection de la Zira de 30 km 2.

Madame Irma et le casino

Cependant, si les données sont bonnes, leur analyse est systématiquement optimiste. « On constate des écarts », avance Arjun Makhijani. Sur les doses de radiation, par exemple.

Pour lui, si l’on prend de manière aléatoire toutes les variables (transport, diffusion, homogénéité de la roche…), le risque entre les doses mini et maxi varie de 1 à 100.000. Côté français, le risque est évalué de 10 à 1.000.

« Normal », explique Patrick Lebon, adjoint au directeur scientifique de l’Andra, qui s’est longuement entretenu avec Arjun Makhijani par visioconférence. « Nous faisons évoluer les différentes variables dans un système contraint et réaliste. La méthode probabiliste américaine conduit à faire évoluer les variables vers des seuils aberrants. Cette méthode probabiliste est proche du casino ; ce n’est d’ailleurs pas un hasard si elle s’appelle la loi de Monte-Carlo », justifie le chercheur avec une pointe d’humour. Et d’ajouter : « Nous ne sommes pas Madame Irma mais on s’appuie sur les lois et des évolutions géologiques stables dont les changements sont très lents ».

Alvéoles et cicatrices

Autres problèmes relevés par Arjun Makhijani : la couche callovo-oxfordienne est supposée être homogène au sein de la Zira, en fait, elle ne l’est pas (une question de sémantique pour Patrick Lebon) ; les contraintes dans le béton ne seront pas uniformes et notamment sur les jointures ; les alvéoles de stockage ont tendance à s’ovaliser. « On l’observe déjà », note Arjun Makhijani, jugeant que ce n’est pas très rassurant. « Deux experts de l’équipe s’inquiètent de l’état des alvéoles et je ne rapporte pas les conversations privées », lâche le chercheur avec un sourire entendu. « L’Andra pense que les alvéoles vont se cicatriser… »

« Le vide se referme », tranche Patrick Lebon. « Cela s’explique par la décharge mécanique quand on creuse. La forme de l’alvéole est un peu plus carrée que ronde. Nous y travaillons en laboratoire mais - a priori - cela ne pose pas de problème. Notamment parce que le choc ne produit des effets que pendant deux à trois jours. Les capteurs confirment que la forme de l’alvéole ne bouge plus après ce laps de temps très court. »

Devoir d’inventaire

« La quantité maxi n’est pas définie. Les types de déchets qui seront stockés doivent rapidement et définitivement être précisés. Cela découle évidemment de la politique énergétique de la France. Le type et les quantités stockées sont fondés sur le parc actuel. Les études de l’Andra sont centrées sur les MAVL et les HAVL, sans prendre en compte le MOX, un combustible usé non retraité, conditionné dans des containers de 3,3 m. Les contraintes sont différentes et les dommages sur les alvéoles plus grands. Il y a assez de place dans le laboratoire mais l’Andra ne procède pas à ces tests » (lire ci-dessous).

« Enfin, je note que le dimensionnement découle de l’inventaire quantitatif et qualitatif. »

« Pour l’instant, nous travaillons sur l’inventaire qui nous a été donné. D’ici 2013, l’inventaire nécessaire à la demande d’autorisation sera fixé mais ne sera pas gravé dans le marbre. S’il faut modifier notre cahier des charges, cela fera l’objet d’une nouvelle demande d’autorisation », répond Patrick Lebon.

Réversibilité et enfouissement

Pour Arjun Makhijani, « la réversibilité est plus politique que technique ». Elle est imposée par loi. Pendant un siècle. En revanche, « elle aura des conséquences négatives sur le plan technique ». Notamment en terme de corrosion.

Pourquoi enfouir quand les déchets nucléaires sont actuellement stockés en surface ? Arjun Makhijani lève les yeux au ciel : « C’est une excellente question à laquelle je réponds aujourd’hui différemment que par le passé. Parce qu’il y a un avant et un après 11 septembre. Aujourd’hui, le risque terroriste est incontournable. Et le risque nucléaire a des conséquences inimaginables. C’est pourquoi il ne faut pas stocker en surface. Les Suédois, par exemple, ont calculé qu’un attentat sur des stocks de Césium 137 (HAVL liquide) en Grande-Bretagne aurait – selon les pluies, le vent… - des conséquences comprises entre 10 % et 5.000 % de celles de Tchernobyl… en Norvège ! Et le Césium 137 a une durée de vie de trente ans dans l’air ».

En conclusion

« Le laboratoire est une chance parce qu’il impose une exigence scientifique très élevée. Pour cela, il faut du temps. » Il faut aussi un peu d’argent (trop pour celui qui paiera la facture, EDF).

Mais au tintement du tiroir-caisse, Arjun Makhijani juge la France économe. « Comparez : un milliard d’euros ici, dix milliards de dollars aux États-Unis. En pure perte. »

Propos recueillis par Pascal BAUDOIN